Têtes de nègre, commissariat

Têtes de nègres p45

Nous voici de retour, avec notre pain, nos tomates, un peu de fromage et, luxe auquel elle a tenu, deux têtes de nègre. Elle voulait m’y faire goûter. Elle trouve bon, mais en plus, ça l’amuse. Elle dit que si on grignote tout le chocolat qui entoure la meringue, il reste des têtes de blancs. Dans sa chambre exiguë, ignorés de tous, devant nos pâtisseries, nous sommes à la fois les gentils nègres des vieilles boîtes de Banania qui valent très cher aux puces et les méchants cannibales des histoires racontées aux petits enfants blancs. C’est drôle. Nous mordons en riant dans ces cervelles neigeuses, dans cette mousse cuite, friable et sucrée.

Commissariat p49-50 et suite p50-51

La voix mordante, basse, haineuse, il jette les mots, avec rage, comme si eux aussi devaient me faire mal. « A force de prendre des baffes, tu vas la retrouver ta sale mémoire ? Tous pareils, pas d’âge, pas de nom, pas de parents, savent pas depuis quand ils sont là, tu me prends pour un con ? Tiens, avec celle-là, tu te rappelles, non ? Les bleus, ça ne marque pas sur le noir, je peux y aller, tu sais ! La couleur, ça me connaît, c’est mon côté artiste ! Et comme ça ? Oh, la, la, en plus, même pas capable d’être un boxeur, regardez-moi ça ! Une vraie femmelette, ce singe, une petite claque sur le nez, et ça saigne comme un porc, tiens, tu me dégoûtes… »

Il me dégoûte aussi. Il ne peut pas savoir. Non, je ne le prends pas pour un idiot, mais pour une brute, une brute épaisse, avec ses cheveux si courts, presque blancs d’être blonds, et ses yeux transparents d’être clairs, une brute à peau rose, un blanc propre, pur, lavé à la lessive « Bellerace », une brute comme jamais les grands ne l’ont été avec moi, là-bas. Il me rend méchant dans la tête, à me faire mal en cognant comme ça, partout, et je ne peux rien faire, avec mes mains attachées derrière. Mais je ne peux pas répondre. Ni dire pour qui je le prends, ni donner un nom de famille que je n’ai pas et tout le reste… Il est trop borné pour imaginer que c’est possible, une chose pareille, ne pas avoir de famille, ça existe, et donc ne pas avoir de nom de famille, être sans nom ni âge. Heureusement que je ne suis pas né dans la sienne, de famille. Je préfère encore ne pas en avoir. Qu’est-ce qui peut bien lui manquer, à lui, pour avoir envie de battre des gens, comme ça ? Est-ce qu’il va en arrêter exprès, les soirs où il sent que ça lui vient, cette envie ? Il va se fatiguer, j’espère, de me taper dessus ? Ça commence à être dur à supporter. Je ne dois pas être beau à voir, comme le pauvre garçon des infos avec sa tête cognée sur le muret, et je sens ce goût dans la bouche de quand ça saigne, je m’entends crier non, comme si ça pouvait servir…

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