Extrait de petite histoire de Ion/Ion

Fragment de la « Petite histoire de ion/ion »

Petite histoire de ion/ion, extraite de mes archives, archives bien anciennes puisqu’encore manuscrites, fort dispersées mais contenant bien d’autres déconnographies du genre, et retrouvées récemment dans un éphémère moment de tri approfondi.

La fin de l’année scolaire approchait et ion/ion craignait fort d’annoncer un redoublement à peu près inévitable. Le pauvre avait bien des excuses. Dans le couple Zinc/Effeudeplus tout n’allait pas très bien. Zinc, de moins en moins sérieux, déjà fort attiré par la boisson, se laissait aller de façon parfois insupportable. Et Effeudeplus ne supportait pas. Le petit ion/ion, inquiet de ne savoir à quel pôle s’accrocher, manquait de concentration à l’école. Lorsqu’il montrait ses faibles résultats à la maison, la réaction, parfois lente, parfois rapide, se faisait toujours dans le même sens: le pauvre ion/ion, réduit au silence, laissait passer un double courant de cris, parfois de coups, et cherchait à retrouver son équilibre.

Platine, la maîtresse, aimait bien ion/ion et comprenait sa baisse de concentration sans toutefois pouvoir l’accepter (elle voulait au moins garder constant le niveau de sa classe). Elle avait demandé à Casséel, garçon serviable, doué, nouant facilement des relations avec ses condisciples, d’aider un peu ion/ion. Mais cela ne servait pas à grand chose. Casséel ne pouvait pas se dédoubler chaque soir, et Platine, ayant trop d’élèves à problèmes chaque année, ne pouvait se laisser entamer par chacun, fût-ce par un petit ion/ion vulnérable dont les parents visiblement refusaient la charge.

Le meilleur de la journée, pour lui, c’étaient les moments avec ceux de l’école, les copains, les vrais, les potes, Auciel (un drôle de nom : à cause d’une telle consonance, la moitié de la classe était contre lui, l’autre avec), Normal Dupont, pas toujours très fûté, mais qui savait toujours où il en était; cette stabilité rassurait ion/ion. Il y avait aussi Solubile, Jonction et Saline. Elles étaient toujours très gentilles avec lui mais ion/ion avait moins de rapports avec elles. Pour se faire traiter d’amoureux par toute la classe, merci ! Il avait déjà assez d’ennuis !

En dehors de l’école, dans le même secteur, en face de la pile du vieux pont, il avait sa tante Electrode, qui l’accueillait bien volontiers lorsque par ailleurs on le rejetait, et ses cousines, Anode et Cathode. Sans elles, la vie aurait été vraiment dure. Il était parfois retenu à dîner chez elles, autour d’une grande soupière de bouillon bien assaisonné. Le bonheur ! Il racontait tout ce qu’il avait sur le coeur, les mots couraient, allaient, venaient, de lui vers l’une ou l’autre et retour. On peut dire que le courant passait

Beaucoup plus loin, à des centaines de kilomètres, vivaient ses grands parents, Impédance, sa grand-mère, qui ne parvenait pas à se défaire d’une grande résistance à accepter les situations familiales non conformes, et son grand-père Calomel. Ion/ion aimait beaucoup Calomel, l’odeur de sa pipe, les bandes dessinées de Bison fûté cachées dans son bureau à son intention. Il aimait surtout son grand calme.

Certes, ion/ion percevait déjà plus ou moins que Calomel n’était pas quelqu’un de très engagé, mais au moins, il était stable. On n’imaginait pas qu’il pût changer, que son calme pût s’altérer. Dans le monde perturbé et incertain de ion/ion (monde aussi de nombre de ses copains, qui, comme lui trop petits pour exprimer une volonté propre, subissaient la vie des autres, choc après choc, insensiblement entraînés par un courant qu’ils ne sentaient même pas, et qui n’était pas le meilleur pour eux), dans ce monde-là, trouver une référence comme Calomel était une chance. Le côté enfantin et provincial de Calomel faisait qu’il était très flatté d’être pris comme référence, son côté honnête faisait qu’il reconnaissait parfaitement tenir lui-même à ses références, sans avoir jamais éprouvé le besoin de les mettre en question. Hélas, Calomel vivait loin. Ion/ion ne le voyait que pendant les vacances.

Pendant le reste de l’année la vie quotidienne semblait tourner sans cesse autour de mille enjeux plus ou moins vagues. En classe, les notes, en récréation, les jeux, à la maison, les perpétuelles discussions des parents. C’était fatigant. Perdre ou gagner, toujours perdre ou gagner, pour tous, cela semblait très important. Perdre ou gagner, cela avait un sens, pour peu que l’on connaisse l’enjeu, mais ce n’était pas toujours évident de le connaître, cet enjeu…

Ion/ion et ses copains, bien souvent, ne savaient pas ce qu’ils pouvaient perdre ou gagner. On leur disait : « dans la vie, il faut gagner ! » Mais gagner quoi ? Electron, l’étudiant qui les surveillait à la cantine, tournant partout, passant d’une table à l’autre, vif, agité presque, mais gentil avec tous, leur avait dit un jour que Monsieur Proton, le directeur, avait beaucoup changé quand il avait perdu l’ouïe, à cause d’il ne savait quelle maladie. Perdre l’ouïe cela signifiait ne plus pouvoir entendre, avait expliqué Electron. Ion/ion et ses copains s’étaient bien demandé si perdre le non signifiait ne plus parler ? La courte expérience de ion/ion concordait avec une telle hypothèse. Chaque fois qu’il avait à entendre, il lui fallait dire oui, et lorsqu’il voulait parler c’était si souvent pour dire non…ou s’entendre dire non…

En tout cas perdre quelque chose qui vous appartient, même si c’est le mot qui permet d’entendre, si ce mot vous appartient, cela change un homme, et pas de façon agréable. Monsieur Proton était devenu tout maigre, et corrosif avec les maîtres et les surveillants; corrosif cela veut dire faire des réflexions acides, ne pas être gentil, avait encore expliqué Electron.

Alors si Madame Base, la petite dame toute grosse, concierge de l’école, était si gentille avec eux-tous, c’était peut-être parce qu’elle récupérait tout ce qu’elle rencontrait ? Elle le rendait d’ailleurs volontiers si on le lui réclamait. Mais toujours sous certaines conditions, juste pour se faire un peu prier. Elle était gentille et pourtant elle aussi était malade quelquefois. Elle accaparait toujours Electron, ou des mères d’élèves, pour se plaindre de ses sautes de PH qui la fatiguaient beaucoup. Alors c’était sans doute de ramasser toutes ces choses qui traînaient qui la rendait gentille. Perdre, c’était comme M. Proton, gagner, c’était comme elle…

Ce n’était pas bien clair… D’autant que dans le quartier, il y avait des concierges salement caustiques ! Pas vraiment gentilles ! Comment s’y retrouver ? Et puis le directeur était riche, et pas la concierge. Du moins pour ce que leurs vêtements en laissaient croire. Et on leur disait aussi que toujours gagner finissait par rendre lourd, qu’il fallait savoir échanger. Echanger quoi ? Un peu du dodu de Madame Base contre un peu de l’aigreur de Monsieur Proton ? Ion/ion avait soufflé cela à ses copains, un jour en classe. Ils avaient pouffé de rire et bien sûr avaient été séparés pour la matinée, les uns d’un côté, les autres de l’autre, pour qu’ils cessent de communiquer, pour éviter toute propagation aux autres de bêtises de la sorte.

Enfin, bref, l’avenir s’annonçait bien incertain pour ion/ion, et sombre, dans un monde où tous avaient peur de tous et n’osaient s’approcher les uns des autres. Ion/ion se voyait mal passer sa vie ballotté d’un lieu à l’autre sans avis à donner, mais il n’imaginait pas non plus comment les choses pouvaient en aller autrement. Il s’efforçait donc d’aborder chaque instant le plus simplement possible, sans arrière ni avant pensée.

Peut-être saurons-nous un jour ce qu’il est devenu ? Si vous l’avez rencontré je serai ravie d’avoir de ses nouvelles…

Publié dans Extraits, Formats courts | Laisser un commentaire

Variance ou La confiture aux sigmadeux

Après-midi dans un pays à découvrir

La petite Variance, enfant sage aux tresses blondes et au tablier brodé, lisait son alphabet dans la grande cuisine pendant que sa mère finissait de garnir une tarte au sigmadeu ; près du feu, fromage du lendemain, un bol de lait de densité caillait doucement. Sur la fenêtre, dans l’axe de la normale réduite, petit rond de soleil, ronronnait le chat Ekcar, du type câlin et voleur;
Dans cette quiétude de fin de loi normale, l’arrivée de mamie Proba créa une effervescence discrète et continue. Toute petite, si petite qu’elle ne chaussait que du 0,7 ou du 0,8, elle arrivait pourtant toujours avec de pleins paniers de conditions. Dans des pots de verre variables à l’infini, il y en avait de toutes sortes, à la npq, à la unmoinspée, à la racine de ène, (un peu amère, bien que mamie Proba ne regrettât pas le sucre) et aussi à la binomial et au bernouilli, à la limite et à l’eau mega, parfois même à l’eudeïxe, mais c’était très rare car il fallait aller les cueillir après les gelées, sur les sommes de 14,18 de l’Alsace indépendante, et mamie Proba n’avait plus vingt ans.
Variance prenait les pots, un à un, et les rangeait dans la fonction de répartition, en rêvant au jour où elle serait assez grande pour remuer elle-même les conditions dans la bassine de cuivre.
Dans l’intervalle, profitant de l’événement avec une élémentaire prudence, Ekcar s’était glissé près du bol de lait dont il avait déjà lapé les trois quarts avant qu’on ne l’aperçût. Une violente permutation circulaire s’organisa pour attraper le coupable. Mais, sans illusion, sans espérance, avec rapidité, celui-ci avait déjà gagné les hauteurs des arbres, et suivant sa propre loi, de sa Place, se Gaussait de la population dispersée.
Variance gémissait en l’appelant, « xi, Pxi, xi, Pxi… » ; sa mère se fâchait, contre le chat et contre sa fille ; alors mamie Proba, de son dernier panier, pour calmer l’enfant, sortit la surprise qu’elle réservait pour le jour de la effedeuïxe : dans un grand bocal évoluait un petit poisson à grains d’argent, déjà apprivoisé, et qui savait dire à sa façon «  eudemoin, eudemoin » sans faire le moindre bruit. La petite Variance, immédiatement consolée, posa le bocal sur le buffet, à côté du paramètre (gros caillou rose par beau temps, vert autrement) et chercha vite quelques factorielles pour nourrir son poisson. « Il s’appellera Eudeuka, comme celui qui avait trouvé quelque chose dans sa baignoire » dit-elle à sa mère. « Ce n’est pas tout à fait cela » répondit celle-ci d’un ton quelque peu las, « µ ça n’a pas d’importance ».
La paix revint dans la grande cuisine après cette distribution, et bientôt il sembla que plus rien d’aléatoire ne pouvait troubler cet espace probabilisé fini. On mit la tarte au sigmadeu au four, Variance reprit son alphabet au début « alpha, béta, … », Ekcar reprit son ronron dans le rond très réduit de soleil, la mère et mamie Proba s’installèrent pour bavarder en tricotant des équiprobables pour les petits du vieux Théorème de Bayes, descendant déchu de la famille des Ixebarre, qui, après beaucoup d’épreuves et faute de trouver d’autre formule, laissait ses enfants pieds-nus et sans combinaisons.
Non, la vie n’est pas toujours un chemin semé de roses, au pays des statistiques, mais c’est la vie… La vie en nombre, et en grand nombre. Et puis, quelques cas favorables parmi tous les cas possibles, cela suffit pour que, des pluies, naissent les arcs-en-ciel, fonctions croissantes des vers de terre jusqu’au soleil ou aux étoiles, milliers de gouttelettes pour piéger la lumière ; quelques cas favorables, l’événement certain (ou quasi…) de l’été qui revient après l’hiver, cela suffit pour qu’on puisse vivre au pays des statistiques, et vivre bien, en cueillant des sigmadeux et en mangeant des conditions, des œufs de x ou de y, en buvant de l’essassantroy et tout ce qui nous reste à puiser de source oméga mystérieuse.

Publié dans Formats courts | Laisser un commentaire

« Failles d’être » sort aux Editions du Bord du Lot

A mes lecteurs, fidèles ou occasionnels, mes vaillants lecteurs de ce blog très lunatique, cette petite annonce : « Failles d’être » sort ces jours-ci, sous le soleil et les orages de juillet, aux Éditions du Bord du Lot. Son premier titre, « Revenir… » était déjà pris. Après nombre de propositions croisées entre l’éditeur et moi, nous avons opté pour

1ère de Couverture "Failles d'être"

Couverture « Failles d’être »

« Failles d’être ».  Je vous transmets le texte de quatrième de couverture :

« Une femme accueille dans un bouleversement profond un père qu’elle ne connaît pas, qui l’a abandonnée petite. Lui viennent alors des questions sans réponse quant au passé de cet homme, et au sien propre, à ses origines, zones d’ombres impossibles à pénétrer. L’homme, malade, ne dira rien de tout ce qu’il sait, faute de pouvoir, ou de vouloir. Et puis, écho lointain, la voix disparue de la mère qui l’a portée surgit dans sa plainte et son amour, clefs perdues pour toujours, richesse diffuse pourtant, donnant force à la vie de sa fille. »

Votre libraire préféré(e) vous le commandera sans difficulté, à moins que vous ne soyez si accros, si accrochés à la toile que remplir votre panier virtuel auprès de l’éditeur (  http://www.bordulot.fr/index.php?part=1&id=158 ) ou des centrales bien connues vous semble le meilleur moyen pour vous approprier ma prose. Et si vos vacances vous laissent le loisir de le lire (Ne craignez rien, c’est court…), vos avis m’intéressent, bien sûr ! 

 

Publié dans Evénements | Marqué avec , , , , , , , , , | Laisser un commentaire

Brèche dans le printemps pluvieux, un passage dans les Alpes pour un petit salon du livre

DSCF7059 bL’occasion était belle, un texte retenu, qui sera publié en recueil collectif à la rentrée, et nous partons, avec nos deux chiens, vers la maison des Alpes, récemment cambriolée et « fortifiée » depuis. Petit salon très sympa, lecteurs et auteurs, paysages à découvrir car à quelques dizaines de km des « nôtres ».

Peu de temps pour la balade mais j’ai quand même fait ma descente jusqu’au lac, et la remontée bien sûr, en herborisant avec grand plaisir. Je voulais voir les asperges sauvages repérées l’été, elles avaient déjà sorti et déployé leurs fines feuilles aériennes. Les orchidées commençaient à fleurir, les ancolies, les astragales, les pulmonaires et bien d’autres ponctuaient le sentier de leurs variations du bleu au violet en passant par des roses plus ou moins intenses. Si j’ai de bonnes photos, j’en ajouterai peut-être une ou deux.

Pour l’instant, je m’engage dans un nouveau parcours, édition à compte d’éditeur toujours, bien sûr, d’un autre texte, ni roman, ni nouvelle, ni essai. Je ne sais comment l’appeler, récit à trois voix peut-être ?
Je vous préviendrai, vaillants lecteurs de ce blog très lunatique !

Publié dans Evénements | Marqué avec , , , , , , , , | Laisser un commentaire

Partir acheter des cigarettes…

Partir acheter des cigarettes…

Pas envie de bouger, pas envie de travailler, de réfléchir, de réagir. La panne. Le coup de vague à l’âme qui frise la déprime. Même pas l’envie de se secouer, de chercher une solution pour que ça passe. Il faudrait pourtant, dans ces cas-là. On le sait. Il n’y a que ça à faire, se secouer, appeler quelqu’un, inventer n’importe quoi pour s’obliger à sortir de cet état de torpeur qui, insidieusement, finit par paralyser sa victime, la rendre indifférente à tout, tout, événement de l’extérieur comme de l’intérieur.

 Oui, mais… voilà, oui mais… Les choses sont déjà trop avancées quand on se dit que cela n’est pas la peine, que rien ne vaut la peine, qu’attendre on ne sait quoi, c’est aussi bien, et moins fatigant, et que, justement, on est si fatigué par cette absence d’envie qu’on n’envisage même pas l’idée de faire un effort. Savoir pourquoi on porte jusqu’à l’écœurement cette lassitude qui n’est même pas du découragement ? A quoi bon ! Il doit y avoir des raisons, sans doute. Les chercher, les analyser ne règlerait pas le problème, si l’on peut parler de problème en l’occurrence. Non, pas vraiment un problème, juste un ennui si profond qu’il semble sans origine et sans fin, soulevé par la même vague que celle qui vous enveloppe et vous écrase de sa tiédeur lourde.

 Au milieu de cet ensommeillement, entre deux eaux, entre deux airs, il semble qu’une pensée veuille émerger. Va-t-on la laisser dans les brumes qui ont envahi le cerveau et l’empêchent de se faire mal en se cognant à quelque chose de consistant, d’un peu réel ? Ou bien va-t-on la laisser prendre corps, se rassembler ? Et perturber, en se faisant voie vers la conscience, la léthargie dans laquelle on coule, paisiblement plus que tristement ? Oh ! Si elle veut sortir, qu’elle sorte… Ce serait un tel effort que de l’en empêcher, maintenant qu’elle est prête à naître vraiment…

Oui, une histoire de mariage, de voyage, il y a quelque chose comme ça qui traîne dans sa vie. Une brûlure lui arrache un gémissement et un juron. Le mariage, ça brûle ? Ou le voyage ? Non, juste sa cigarette qui achève de se consumer en atteignant les doigts. Les desserrer. Voilà. Le mégot tombe. La douleur va passer. Comme le reste, le temps, la vie… Et ce bruit cristallin qui accompagne la chute du mégot ? Ah, oui, pas grave, rien n’est grave, l’autre main aussi a desserré ses doigts, c’est tout, et le verre s’est brisé dans sa chute. L’alcool s’est répandu. Et alors ? Il faudrait se lever pour en verser dans un autre verre ? Inutile, l’alcool donnerait peut-être momentanément une énergie que l’on redoute d’avoir. Et qui pousserait à agir, et ce serait trop fatiguant. Se contenter de l’effort d’accepter une pensée ou deux qui naissent, flottent, se dispersent. Ce sera bien assez. C’est le début de l’état de veille… N’allons pas trop vite. On est si bien ainsi…

 Cette histoire de mariage qui revient… Une rôtisserie, un traiteur, un grand repas, avec toute la famille, beaucoup d’amis, des pâtisseries partout… Des pâtisseries à nom de voyage, un voyage à nom de pâtisserie… Et aussi une immense pâtisserie à nom de traquenard, de coup monté, avec un couple en noir et blanc collé au sommet avant d’être dégommé au couteau… Les images glissent, se superposent, s’évanouissent, reviennent… Il y aurait donc quelque chose de réel, d’inévitable ? Cela aurait-il déjà eu lieu, ou serait-ce encore à venir ? Laisser les choses se dessiner… Ou s’embrouiller… On sonne à la porte. Oh ! Que de bruit ! Qui insiste ainsi ? Pourquoi se déranger pour de tels malotrus ? Et le téléphone qui s’y met ! Les téléphones ! Ne peut-on être tranquille ? Il faudrait bouger pour couper tout cela… Mais bouger…

 Bouger ? Oh ! Ça ou autre chose, maintenant que lui revient la conscience, à coup de sonneries diverses, de bruits d’immeuble, de klaxons, de ville pleine et entière, grise et fourmillante, qu’importe de bouger ou de ne pas bouger ? L’histoire de mariage, de voyage, cela semble bien réel. Ce n’est ni un rêve, ni du passé, ni de l’avenir. C’est maintenant. Les préparatifs sont visibles partout ici. Premiers cadeaux, propositions des agences de voyage… Jusqu’aux essais de menus surréalistes avec viandes à la broche et petits cœurs à la flèche, plateaux de lunes de miel sur boeing à carlingue d’abeille, pièce montée creuse aux alpinistes de plastique encordés… Il faut s’habiller, tout est prévu, minuté, déjà on doit l’attendre, ne pas comprendre pourquoi la porte est restée close. Que signifie cette brèche, cette étrange parenthèse ? Pourquoi ce dégoût vague, cette énorme torpeur, pourquoi cet ensommeillement presque de conte de fée ? Que s’est-il donc passé ?

 Il existe des histoires, pas de mariage ou de voyage, des histoires que l’on raconte, vraies ou supposées vraies, d’hommes, oui, toujours des hommes, c’est curieux, qui sortent acheter des cigarettes, des allumettes, et qui disparaissent, pour toujours ou pour des années. C’est dit aussi dans des chansons. Cela pourrait devenir son histoire, après tout, pourquoi pas ? Avoir fini ses études, être titulaire d’un emploi, se laisser entraîner à se marier, accepter, décider, croire que l’on a décidé et se découvrir une rechute de crise d’adolescence, avec ennui, doute, peur du risque et goût du risque tout emmêlés, c’est bizarre, bizarre, mais pas à négliger. Bizarre, cette rechute. Cela ressemble à un réveil, à un éveil, presque. Se marier, se caser, entrer dans une case, comme on se protègerait contre la vie, comme on prendrait une assurance sur l’amour et la sécurité, est-ce un jeu ? Un jeu de rôle grandeur nature, pour les jours de la semaine et les week-end ? Non, l’adolescence peut aussi voir cela comme un affaissement, un abandon, un abandon de soi au monde. Il semble difficile de s’extraire de l’adolescence. Pas vraiment nécessaire, d’ailleurs, quand on y songe.

 Laisser un mot sur la table. Comme cela, ils seront au courant, ils ne s’inquièteront pas, ceux qui sont déjà prêts, futur conjoint et famille qui se dit déjà belle famille. Ils ne vont pas comprendre, mais ils ne vont pas s’inquiéter. C’est mieux pour eux de ne pas s’inquiéter. D’ailleurs, pourquoi s’inquiéter ? On ne cherche pas les personnes majeures quand il n’y a pas de raisons de s’inquiéter. Est-ce une raison pour s’inquiéter, un retour d’adolescence ? Et qui saurait qu’il y avait un retour d’adolescence ? Ou plus grave, peut-être ? Peur aiguë, soudain, d’entrer dans une case, d’entrer dans un modèle de vie, encore un, après les études et les débuts dans la « vie active », marcher sur le chemin tracé du bon citoyen, peur panique, envahissante ? Adolescence ? Ou plus grave ?

 Bien. Laisser un mot sur la table.

Ensuite n’emporter qu’un tout petit sac à dos, celui de l’appareil photo par exemple, mais avec carte bleue, monnaie, papiers divers, il va bien falloir s’occuper de tout ça, on verra plus tard, pas besoin de plus pour aller acheter des cigarettes ? Non, ça doit suffire… pour quelques années…

 Et filer dans le quartier près du port où se trouvent tous les marchands de tout, denrées plus où moins exotiques dans des boutiques étroites et odorantes ou sur des étals mangeant les trottoirs. Là, s’installer à l’ombre fraîche et commander, comme lorsque sa nounou l’emmenait en virée secrète, des lunes de miel pour tout un mariage… Les laisser fondre sur la langue, avec volupté, jusqu’à l’oubli, l’oubli de l’ennui, de la peur, les laisser fondre sur la langue, se fondre dans cette volupté, comme dans les bras de la nounou. En faire une orgie à ne pouvoir bouger, à ne plus pouvoir entrer dans une case…

 Ah, oui, c’est vrai, avant, tout de suite, le mot sur la table : « Je pars acheter des cigarettes… »

 

Publié dans Formats courts | Marqué avec , , , , , , , , , , , , , | Laisser un commentaire

Fragilité

Meilleurs Voeux 2014Fragilité de nos existences, et légèreté des disparitions, la vie, les vies, les souffles montent, souffrent et s’apaisent, dans la fluidité des vents, des océans, la chaleur de la terre.
Quel oiseau a rencontré là des crocs affamés et laissé cette plumée blanche sous la rosée d’hiver ?
Une très bonne année à tous ceux qui prennent encore un instant pour jeter un coup d’oeil sur ce site en fréquente hibernation ! Meilleurs voeux à tous !

Publié dans Non classé | Marqué avec , , , , , , | Laisser un commentaire

Un éclair bleu entre deux pluies, le lion veille

Lion du parc Chavat

Le lion veille, immobile, depuis un an, depuis toujours, et coule la Garonne

Publié dans Non classé | Laisser un commentaire

Sous d’autres pluies, le printemps

Etang sous ciel gris et pommiers pleine fleur
Étang sous le ciel gris et pommiers pleine fleur, verte Normandie

La pluie, la pluie au long des matins et des soirs, partout, sur l’Aquitaine et sur Paris, sur la Normandie verte et fleurie, où un soleil s’est échappé brièvement des nuages pour étaler les rouges de son couchant de Pentecôte.

Mais la fête était dans les coeurs, le feu dans les cheminées, la lumière dans les yeux et la folie de la danse jusqu’au bout des orteils… Gris mois de mai, plaisir d’un très beau week-end de rencontres…

 

Publié dans Evénements | Marqué avec , , , , , , , , , , | Laisser un commentaire

Sous les pluies, le printemps

D’où venait le tailleur de pierre, le sculpteur, le brigand repenti revenu de campagnes barbares pour nous offrir à travers les siècles ces éléphants sur leur pilier calcaire ?

Après un petit salon saintongeais, ce fut un enchantement sous la bruine que cette découverte de merveilles d’un autre âge où le travail des hommes s’étirait au rythme des saisons et où la mort prenait vite les corps épuisés, les âmes libres se promenant sous les frondaisons et les arches, ornements semi-païens d’églises désertées pour une éternité aux dieux enfuis.

Eléphants du passé cachés dans le calcaire

Éléphants d'un passé roman cachés dans le calcaire saintongeais

Publié dans Evénements | Marqué avec , , , , , , , , , | Laisser un commentaire

Février-mars en tempêtes

Perturbations du ciel, des saisons, des flots et des cœurs

Belem navire école

Le Belem, navire école, en escale à Bordeaux

, mais le Belem m’attendait à quai lors de cette balade inopinée entre deux films à l’Utopia. Emporte-t-il aussi vos rêves ?

Publié dans Non classé | Marqué avec , , , | Laisser un commentaire