Part d’ombres p68
Son petit-fils, qui a les yeux noirs fendus en amande, les pommettes hautes et la gaîté de sa grand-mère, ne semble pas porter sur lui les parts d’ombre enkystées dans l’enfance de celle-ci. Moi non plus, je ne sens pas sur moi, en moi, les traces des éclairs de machettes, des chocs sourds des haches. Mais j’en ai senti le vent, tout près, sans en avoir jamais parlé, cela ne se fait pas, avec ceux qui ont pu subir ou infliger, dans des vacarmes de terreur, ces blessures par où s’enfuit en bouillonnant le sang de la vie. Est-ce pour cela que je suis moins gourmand que lui de découvrir le monde ? Que rêver devant les grandes étendues d’eau, mouvantes des reflets du soleil aux différentes heures, que rêver ainsi me suffit ? Lui, son petit-fils, se remplit du monde, je voudrais me vider du peu que je connais, pour donner toute la place à ce qui me vient d’elle. Pourtant tout ce que je vois ici m’intéresse. Tout ce que je vois ici me semble bon.