Après-midi dans un pays à découvrir
La petite Variance, enfant sage aux tresses blondes et au tablier brodé, lisait son alphabet dans la grande cuisine pendant que sa mère finissait de garnir une tarte au sigmadeu ; près du feu, fromage du lendemain, un bol de lait de densité caillait doucement. Sur la fenêtre, dans l’axe de la normale réduite, petit rond de soleil, ronronnait le chat Ekcar, du type câlin et voleur;
Dans cette quiétude de fin de loi normale, l’arrivée de mamie Proba créa une effervescence discrète et continue. Toute petite, si petite qu’elle ne chaussait que du 0,7 ou du 0,8, elle arrivait pourtant toujours avec de pleins paniers de conditions. Dans des pots de verre variables à l’infini, il y en avait de toutes sortes, à la npq, à la unmoinspée, à la racine de ène, (un peu amère, bien que mamie Proba ne regrettât pas le sucre) et aussi à la binomial et au bernouilli, à la limite et à l’eau mega, parfois même à l’eudeïxe, mais c’était très rare car il fallait aller les cueillir après les gelées, sur les sommes de 14,18 de l’Alsace indépendante, et mamie Proba n’avait plus vingt ans.
Variance prenait les pots, un à un, et les rangeait dans la fonction de répartition, en rêvant au jour où elle serait assez grande pour remuer elle-même les conditions dans la bassine de cuivre.
Dans l’intervalle, profitant de l’événement avec une élémentaire prudence, Ekcar s’était glissé près du bol de lait dont il avait déjà lapé les trois quarts avant qu’on ne l’aperçût. Une violente permutation circulaire s’organisa pour attraper le coupable. Mais, sans illusion, sans espérance, avec rapidité, celui-ci avait déjà gagné les hauteurs des arbres, et suivant sa propre loi, de sa Place, se Gaussait de la population dispersée.
Variance gémissait en l’appelant, « xi, Pxi, xi, Pxi… » ; sa mère se fâchait, contre le chat et contre sa fille ; alors mamie Proba, de son dernier panier, pour calmer l’enfant, sortit la surprise qu’elle réservait pour le jour de la effedeuïxe : dans un grand bocal évoluait un petit poisson à grains d’argent, déjà apprivoisé, et qui savait dire à sa façon « eudemoin, eudemoin » sans faire le moindre bruit. La petite Variance, immédiatement consolée, posa le bocal sur le buffet, à côté du paramètre (gros caillou rose par beau temps, vert autrement) et chercha vite quelques factorielles pour nourrir son poisson. « Il s’appellera Eudeuka, comme celui qui avait trouvé quelque chose dans sa baignoire » dit-elle à sa mère. « Ce n’est pas tout à fait cela » répondit celle-ci d’un ton quelque peu las, « µ ça n’a pas d’importance ».
La paix revint dans la grande cuisine après cette distribution, et bientôt il sembla que plus rien d’aléatoire ne pouvait troubler cet espace probabilisé fini. On mit la tarte au sigmadeu au four, Variance reprit son alphabet au début « alpha, béta, … », Ekcar reprit son ronron dans le rond très réduit de soleil, la mère et mamie Proba s’installèrent pour bavarder en tricotant des équiprobables pour les petits du vieux Théorème de Bayes, descendant déchu de la famille des Ixebarre, qui, après beaucoup d’épreuves et faute de trouver d’autre formule, laissait ses enfants pieds-nus et sans combinaisons.
Non, la vie n’est pas toujours un chemin semé de roses, au pays des statistiques, mais c’est la vie… La vie en nombre, et en grand nombre. Et puis, quelques cas favorables parmi tous les cas possibles, cela suffit pour que, des pluies, naissent les arcs-en-ciel, fonctions croissantes des vers de terre jusqu’au soleil ou aux étoiles, milliers de gouttelettes pour piéger la lumière ; quelques cas favorables, l’événement certain (ou quasi…) de l’été qui revient après l’hiver, cela suffit pour qu’on puisse vivre au pays des statistiques, et vivre bien, en cueillant des sigmadeux et en mangeant des conditions, des œufs de x ou de y, en buvant de l’essassantroy et tout ce qui nous reste à puiser de source oméga mystérieuse.