L’école des prêtres p 11-12 Dans mon pays, enfin, dans le pays d’où j’arrive, parce que, dire que c’est le mien… sans parents, sans nom, sans papiers, ça fait rire de dire mon pays, ma terre… Dans ce pays, un prêtre m’avait pris pour me mettre dans son école. Il disait qu’il y avait toujours quelque chose de bon dans la vie. Il disait que l’école, ça remplaçait la famille que je n’avais pas. Au début, j’aimais bien. J’apprenais des choses, et je mangeais, au moins un repas, parfois deux. Mais au bout d’un temps, ça m’a gêné de devoir lui dire merci, de dire merci pour les repas, merci pour le lit, pour le cahier, le crayon, pour « Joseph », le nom qu’on m’avait prêté. Et puis être en même temps que les autres en train d’écrire ou de chanter, c’était trop, ça m’a gêné, je suis reparti. Quand j’ai eu faim et que les grands avec qui j’ai dormi m’ont battu, parce qu’ils battaient les petits, j’ai regretté. Tant pis. Je n’osais pas y retourner, je suis resté avec les autres. J’ai grandi avec eux, comme eux.
Ce prêtre qui m’avait pris dans son école, il disait ça, que sur terre, il y avait toujours quelque chose de bon dans la vie. Et que quand tout est très difficile, ça rend plus fort. Pour lui, la terre, c’était pour les hommes, et le ciel pour Dieu. C’était drôle que la mer fasse partie de la terre et pas le ciel. Il disait que la terre était à tout le monde, aux pauvres comme aux riches, mais que les pauvres seraient plus riches que les riches quand ils seraient dans le « royaume des cieux », ailleurs que sur terre. Les cieux, c’est le ciel au pluriel, pourtant il n’y avait qu’un dieu. Il voulait aussi que son dieu soit mon père, mais je n’ai pas accepté. J’aurais aimé un père qu’on peut voir. Celui-là n’était pas sur terre, on ne pouvait que lui parler, et il fallait savoir comment s’y prendre pour qu’il réponde. Et comprendre la réponse. Ce n’était ni un dieu ni un père. Je n’en avais pas besoin. Mais ce qu’il m’a dit, le prêtre, ce qu’il disait aux autres, que ça rend fort quand tout est difficile, je n’ai pas oublié. Il doit y en avoir beaucoup de forts, des jeunes comme moi, parce que c’est dur, la vie. Mais je vais peut-être me débrouiller, maintenant que je suis là, et sans les autres de là-bas. Ça va changer, c’est sûr. Devenir plus difficile ? Je deviendrai plus fort.