Mon roman Fait Noir publié par La Cheminante

Un bel événement dans ma vie, juin 2011, : mon roman Fait noir, juste publié par La Cheminante, est présent (et moi aussi pour les dédicaces) au salon des Étonnants Voyageurs à Saint Malo.
Et c’est avec lui que je serai aux prochains salons, Le Mans et Paris en octobre, comme précisé précédemment, et Thénac, près de Saintes et Paris en mars 2012.

Si vous voulez voir à quoi cela ressemble, vous tapez « Fait noir Marie Nau » dans la petite fenêtre ad hoc de votre navigateur préféré et vous aurez accès à la page concernant le roman sur le site de La Cheminante  :

http://www.metaphorediffusion.fr/fait-noir,fr,4,LC_MARIE_NAU_FAITNOIR.cfm

Vous pouvez aussi vous rendre directement sur ce site, car il y a beaucoup de belles choses à y découvrir. Bonne navigation !

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Prochains événements

Ce serait bien de tenir ce blog à jour, mais voilà, tant de choses m’appellent ici et là que je n’y pense guère…
Pourtant je serai au salon de la 25ème heure du livre, au Mans, les 7, 8, et 9 octobre 2011, puis à Paris, au salon de La Plume noire, les 14 et 15 de ce même mois d’octobre. Ensuite, ce sera pour 2012, en mars, pour le salon du livre de Paris et pour celui de Thénac, près de Saintes. Mais d’ici là j’aurai bien refait un petit tour pour préciser les dates et ajouter des textes ?

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Une fille ? Ou deux ?

Une fille? Ou deux?

Une fille? Ou deux? On ne sait même pas qui peut trancher. Enfin, trancher, façon de parler. On n’en est pas là. Tout le monde a l’impression d’avoir son mot à dire. Et tout le monde est là, foule bruissante et indécente.

Non seulement s’agitent les médecins, les sages-femmes, les stagiaires, les juristes, l’employé de l’état civil, mais encore des philosophes, prévenus on ne sait par qui, à qui personne ne demande rien, des journalistes, maintenus à grand peine au fond du couloir, des psychiatres, avertis eux aussi, qui se bousculent et après avoir fait de grands discours refusent de donner leur avis en clair, à tel point que selon l’éducation des uns et des autres on meurt d’envie de les traiter tous de jésuites, casuistes, normands, de pervers à peine polymorphes, de tordus, de voyeurs, voire bien pire, bien moins correct. Qu’ils aillent où ils veulent. L’important est là. Là et maintenant. Avec ce qui vient d’arriver.

Un père, une mère. Situation toute de normalité. Normalité, encore, de cette société pourtant éternellement en mutation. Normalité. Ce n’est pas toujours le cas. Quatre kilos deux cents, un joli poids, cinquante et un centimètres, normal aussi, pour autant que l’on accorde crédit à ces mesures. Des cheveux noirs, en abondance. Des cris de nouveau-né, éperdus, aigus, bouleversants. Des doigts minuscules, tout rouges, qui s’ouvrent et se ferment, cherchant à s’agripper malgré leur faiblesse. Des yeux d’un bleu gris foncé, presque opaque, lorsqu’ils s’ouvrent et s’offrent aux multiples regards venus scruter la vie nouvelle. De petites oreilles délicates et bien ourlées, des pieds mignons, la peau fragile encore marquée de bleu par endroits, mais se lissant peu à peu et rosissant agréablement.
Voilà devant quoi, devant qui, pleurent, atterrés, les parents, devant quoi, devant qui, tous s’interrogent sans proposer de réponse. Une fille? Ou deux? Fille(s)? Même pas certain. Selon les apparences, oui… Les analyses, on les fera plus tard, s’il y a lieu. Pour découvrir un xx tout bête, si ça peut être bête, un xx, ou bien un xxx, ou un xxy… Et alors? Ah, oui, pas normal! Comment une telle naissance a-t-elle pu se produire dans un pays comme le nôtre? A notre époque? Une telle grossesse se poursuivre jusqu’à son terme? La liberté individuelle, la liberté de conscience, la liberté de se passer de surveillance médicale, liée à la possibilité de ne pas dépendre d’allocations prénatales, la vie souhaitée « naturelle », dans une haute campagne dépeuplée, loin de tout centre urbain, et le hasard, l’appariement inhabituel des chromosomes, des copies décalées de morceaux d’ADN, la malchance, la malédiction pour certains.

Bref. Une fille? Ou deux? Un tout petit bassin, très plat, très large. Deux minuscules jambes de part et d’autre de ce bassin. Et au milieu une jambe plus épaisse, curieusement symétrique, avec, au bout, quatre fins orteils encadrés de deux pouces à peine plus gros. Et deux sexes de bébé fille, dodus et gonflés, deux petits monts de Vénus voisins, à gauche et à droite de cette jambe médiane. Lorsque la sage-femme a retourné l’enfant, les enfants, pour faire les premiers examens et donner les premiers soins, deux petites fesses maigres et plissées, une troisième presque rectangulaire, et deux petits anus mauves. Une fille? Ou deux?

Au-dessus de ce bassin, lorsque l’enfant, les enfants, furent recouchées sur le dos, une poitrine qui hurle et se soulève avec rage, il y a des poumons là-dessous, et quatre minuscules tétons d’une couleur à peine plus soutenue que le reste de la peau. Puis deux cous chiffonnés sous deux petits mentons tremblant de colère ou de désarroi d’être ainsi accueillis, dès la naissance, dans la violence des bruits et des lumières, dans le froid des humeurs, la tiédeur disparue du ventre maternel, par la stupeur des premiers visages penchés sur eux. Deux bouches vagissantes, quatre narines agitées, ailes de deux petits bouts de nez bien dessinés. Un grand front, unique et têtu, avec deux épis de cheveux, un seul arrière de crâne, une seule nuque en delta…Une fille? Ou deux filles?

On a de la religion dans cette famille. Du moins on avait. Car on ne sait plus quoi penser de Dieu dans un moment pareil. S’Il préside à nos destinées, s’il veut tout ce qui arrive, pourquoi cela? Les voies du Seigneur sont impénétrables. Mouhais! S’Il pouvait expliquer un peu quand même…Ce n’est pas l’habitude, bon. On fera sans. Malgré tout, avant même de faire une déclaration à la mairie, une, ou deux, il faut au plus vite se préoccuper d’un baptême. D’un ou de deux. Pour une âme. Ou deux âmes. Un parrain, ou deux. Une marraine, ou deux. Deux chaînes et deux médailles. Deux prénoms qui n’en font qu’un. Le choix s’est imposé comme une évidence. Marie Madeleine. Une virgule ou un tiret, entre les deux? Ou rien? L’enfant pleure. Ils ont faim. Quel sein, à quelle bouche? La tête est rigide. Les os du crâne en partie doubles. Deux biberons peut-être? En même temps?

Prévenir la famille. Lui annoncer la, les naissances, l’évènement. La laisser prévenir les amis? Ne presque rien dire. Le poids, le nom, la taille, la couleur des cheveux. On donnera les autres détails plus tard. Qu’ils attendent pour les visites, ce fut long et difficile, la maman est fatiguée, épuisée. Ne pas dire effondrée. Et qu’ils ne se pressent pas pour les cadeaux, ils ont tout ce qu’il faut. Des peluches peut-être?
Déjà on parle d’opération, d’opérations, de pourcentage de risque et de réussite, de pronostic vital, de pronostics vitaux, de centre spécialisé, de handicaps, les parents ont provisoirement tari leurs larmes. Ils laissent le foisonnant personnel plus ou moins médical, plus ou moins curieux, plus que moins voyeur, émettre de multiples avis et leurs contraires, et deviennent obtus à cette logorrhée qui ne semble plus les concerner. Ils s’absentent. Ils sont là, immobiles. Ils s’absentent. Au milieu de tout ce bruit, de toute cette agitation qui les entoure.

Ils sont en train de se mettre à découvrir et à aimer leur enfant, leurs enfants. Ils forment à trois, ou quatre, un groupe dense, une muraille défensive, à la cohésion en pleine expansion. Et le bébé simple ou double s’est tu. Reconnu. Entouré de quatre bras et de deux souffles chauds. Marie Madeleine reçoit, reçoivent les premières paroles, les premiers baisers parentaux.

Le père soudain se persuade qu’une double tête aussi solide ne pourra qu’être doublement intelligente et que Marie Madeleine le rendra, le rendront, fier de sa descendance. C’est une illumination, une révélation. Une épiphanie…Il ne laissera pas la faculté morceler cette tête, ce tronc, amputer la troisième jambe. Lui, le père, il défendra contre vents et marées, contre spécialistes autoritaires et magistrats hésitants, la chair de sa chair, mélangée intimement à la chair de la chair de la mère, son épouse. Marie Madeleine vivra, vivront, une vie exceptionnelle, hors normes, et développera, développeront des facultés inouïes, témoins d’une époque annonciatrice de grands changements, de mutations de toutes sortes.

Ils sont tous les trois, tous les quatre, au plus profond de leur citadelle, protégée d’un épais nuage qui les isole, au coeur de leur rêve. Ils perçoivent, savent déjà, sans en prendre totalement conscience, que la route sera hérissée d’embûches. Que les libertés dont ils ont joui jusqu’à présent vont se voir rognées sous le moindre prétexte, se réduire comme peau de chagrin, chaque fois qu’ils voudront en user. Que leur seront imposés des modes de vie, des lieux, des temps, des pratiques médicales. Qu’il leur faudra déployer une énergie farouche pour résister aux pressions avouées et aux luttes sourdes ayant pour but de leur voler le soin d’élever leur fille, leurs filles.

Marie Madeleine dort, dorment, les paupières calmes, avec une respiration paisible de nouveau-né sans souci du lendemain. Les parents pleurent doucement par-dessus leurs sourires et ignorent l’employé d’état-civil, dépêché par la mairie, qui insiste pour inscrire nom, prénom, sexe, date et heure de l’évènement. Ils laissent échapper qu’ils ne savent pas, que ce n’est pas le problème, qu’il n’y a pas de problème, qu’ils ont le temps pour y réfléchir, qu’aucune urgence ne les presse, qu’ils connaissent les délais légaux et que de toute façon ils s’apprêtent à se confronter à des règlements qui ne pourront leur convenir. Dans le doute on s’abstient, au moins pour un temps, s’entend répondre l’employé, déconfit, qui n’insiste pas.

Le père et la mère, les yeux dans les yeux, les mains jointes sur leur bébé double, échangent le serment tacite de chercher à faire son bonheur, de résister à ce qui, à ceux qui, sous couvert de méthodes nouvelles et indispensables, prendraient leur progéniture aimée, sacrée, comme sujet d’expérience, objet de laboratoire. Sûrs du moins qu’ils ne rencontreront pas ces horribles personnages du temps jadis, les acheteurs de monstres à exposer dans les foires, cela étant désormais interdit dans ces contrées, remplacés par les marchands de faits divers. Ils ne liront pas, n’écouteront, ne regarderont pas. Ne sauront pas ce qui se dira, se montrera d’eux, d’elles, d’elle.

Sûrs de rien quant au reste. Si ce n’est de leur détermination, de leur pugnacité, de leur amour, totalement, immensément accordé. Marie Madeleine. Marie Madeleine.

Dans l’antiquité égyptienne elle eut, elles eurent été un pur avatar du dieu pharaon. Mais nous n’y sommes pas.

Nous n’irons pas vivre au Siam. Il n’existe plus. Et il n’est pas certain du tout qu’elle y soit, y soient bien reçue, reçues, même de soie vêtue, vêtues. Elle ne porte pas, ne portent pas, comme chat siamois, douce fourrure beige avec museau et extrémités noires. Elle a, elles ont, jolies frimousses d’humaine humaines.

Si la société normalisée la, les regarde comme bête curieuse, nous la, les soustrairons à ces regards. Nous recréerons une société autour d’elle, elles. Ailes, des anges. Dans notre fin fond de plateau campagnard. Nous la, les entourerons, lui, leur ferons la classe. Sa, leur vie sera heureuse et paisible. Elle apprendra, elles apprendront à lire, écrire, compter.

Elle ne pourra pas se disputer avec elle. La nuque et le front rigides, ne permettent pas l’affrontement, précisément.

Trois jambes, c’est déjà l’assurance d’un équilibre à la station debout, pour regarder et faire, faire et regarder ce que l’on fait dans le jardin et la cuisine, l’atelier et la basse cour.

Nous inventerons chaque matin les conditions du reste, ce qui semble poser problème comme ils disent, les normalisés, et qui n’en posera pas. Chaise haute à deux tablettes, siège-auto moulage offert par un club d’étudiants designers, deux selles pour le vélo, piano à quatre mains, duo de flûte ou percussions, pour le plaisir bien sûr, seulement le plaisir, sans représentations prêtant aux dérives, un ordinateur, deux claviers, deux écrans, une partition de disque correspondant à la leur, vêtements sur mesure et « paires » de trois chaussures, et plus tard soutien-gorge à quatre bonnets, col roulé avec boutonnage médian, jupons à large taille et pantalons à trois jambes.

Tout est faisable et nous ferons. Même la mode, qui se fait et se défait, avec flux et reflux. Elle sera belle notre fille, elles seront belles, Marie Madeleine.

Et sa vie, leur vie aussi, belle, belle, heureuse, avec nous pour elle, elles toujours. Et quand nous serons vieux, très vieux, elle, elles pour nous? Ne pensons pas à cela, nous ne nous en donnons pas le droit. Ce sera comme elle voudra, voudront.

Peut-être des petits enfants joyeux, comme elle, elles, ou différents ? Tout est possible maintenant pour procréer, si aucun homme n’a envie de partager leur, sa vie, passant à côté d’une aventure aussi extraordinaire que magnifique, et bien, si, et seulement si, elle le souhaite, le souhaitent, il y a les FIV et autres méthodes, ici et à l’étranger, selon les législations du moment. Et pour elle, elles, un petit, deux petits ? Puis trois ? Ou quatre ?

C’est loin tout cela! Encore bien loin! Oui, mais comme un flash, les parents émerveillés voient se dérouler le film de cette vie merveilleuse qu’ils auront avec leur toute neuve merveille. Il faut bien cela pour leur donner toutes les forces nécessaires aux combats qu’ils devront mener afin qu’on ne les empêche pas de la garder avec eux, leur merveille, et de l’aimer comme, seuls, ils peuvent le faire, ils le savent déjà complètement, intensément.

L’avenir demeure bien incertain, c’est vrai, chaque jour, même prochain, leur apportera doutes et interrogations. Ils ne se le cachent pas. Mais l’aimer, avec cette évidence, cette plénitude, eux seuls le peuvent.

Marie Madeleine. Marie Madeleine. Vous dormez. Nous t’aimons. Longue, bonne et belle vie!

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Partir acheter des cigarettes

Partir acheter des cigarettes…

Pas envie de bouger, pas envie de travailler, de réfléchir, de réagir. La panne. Le coup de vague à l’âme qui frise la déprime. Même pas l’envie de se secouer, de chercher une solution pour que ça passe. Il faudrait pourtant, dans ces cas-là. On le sait. Il n’y a que ça à faire, se secouer, appeler quelqu’un, inventer n’importe quoi pour s’obliger à sortir de cet état de torpeur qui, insidieusement, finit par paralyser sa victime, la rendre indifférente à tout, tout, événement de l’extérieur comme de l’intérieur.

Oui, mais… voilà, oui mais… Les choses sont déjà trop avancées quand on se dit que cela n’est pas la peine, que rien ne vaut la peine, qu’attendre on ne sait quoi, c’est aussi bien, et moins fatigant, et que, justement, on est si fatigué par cette absence d’envie qu’on n’envisage même pas l’idée de faire un effort. Savoir pourquoi on porte jusqu’à l’écœurement cette lassitude qui n’est même pas du découragement ? A quoi bon ! Il doit y avoir des raisons, sans doute. Les chercher, les analyser ne règlerait pas le problème, si l’on peut parler de problème en l’occurrence. Non, pas vraiment un problème, juste un ennui si profond qu’il semble sans origine et sans fin, soulevé par la même vague que celle qui vous enveloppe et vous écrase de sa tiédeur lourde.

Au milieu de cet ensommeillement, entre deux eaux, entre deux airs, il semble qu’une pensée veuille émerger. Va-t-on la laisser dans les brumes qui ont envahi le cerveau et l’empêchent de se faire mal en se cognant à quelque chose de consistant, d’un peu réel ? Ou bien va-t-on la laisser prendre corps, se rassembler ? Et perturber, en se faisant voie vers la conscience, la léthargie dans laquelle on coule, paisiblement plus que tristement ? Oh ! Si elle veut sortir, qu’elle sorte… Ce serait un tel effort que de l’en empêcher, maintenant qu’elle est prête à naître vraiment…

Oui, une histoire de mariage, de voyage, il y a quelque chose comme ça qui traîne dans sa vie. Une brûlure lui arrache un gémissement et un juron. Le mariage, ça brûle ? Ou le voyage ? Non, juste sa cigarette qui achève de se consumer en atteignant les doigts. Les desserrer. Voilà. Le mégot tombe. La douleur va passer. Comme le reste, le temps, la vie… Et ce bruit cristallin qui accompagne la chute du mégot ? Ah, oui, pas grave, rien n’est grave, l’autre main aussi a desserré ses doigts, c’est tout, et le verre s’est brisé dans sa chute. L’alcool s’est répandu. Et alors ? Il faudrait se lever pour en verser dans un autre verre ? Inutile, l’alcool donnerait peut-être momentanément une énergie que l’on redoute d’avoir. Et qui pousserait à agir, et ce serait trop fatiguant. Se contenter de l’effort d’accepter une pensée ou deux qui naissent, flottent, se dispersent. Ce sera bien assez. C’est le début de l’état de veille… N’allons pas trop vite. On est si bien ainsi…

Cette histoire de mariage qui revient… Une rôtisserie, un traiteur, un grand repas, avec toute la famille, beaucoup d’amis, des pâtisseries partout… Des pâtisseries à nom de voyage, un voyage à nom de pâtisserie… Et aussi une immense pâtisserie à nom de traquenard, de coup monté, avec un couple en noir et blanc collé au sommet avant d’être dégommé au couteau… Les images glissent, se superposent, s’évanouissent, reviennent… Il y aurait donc quelque chose de réel, d’inévitable ? Cela aurait-il déjà eu lieu, ou serait-ce encore à venir ? Laisser les choses se dessiner… Ou s’embrouiller… On sonne à la porte. Oh ! Que de bruit ! Qui insiste ainsi ? Pourquoi se déranger pour de tels malotrus ? Et le téléphone qui s’y met ! Les téléphones ! Ne peut-on être tranquille ? Il faudrait bouger pour couper tout cela… Mais bouger…

Bouger ? Oh ! Ça ou autre chose, maintenant que lui revient la conscience, à coup de sonneries diverses, de bruits d’immeuble, de klaxons, de ville pleine et entière, grise et fourmillante, qu’importe de bouger ou de ne pas bouger ? L’histoire de mariage, de voyage, cela semble bien réel. Ce n’est ni un rêve, ni du passé, ni de l’avenir. C’est maintenant. Les préparatifs sont visibles partout ici. Premiers cadeaux, propositions des agences de voyage… Jusqu’aux essais de menus surréalistes avec viandes à la broche et petits cœurs à la flèche, plateaux de lunes de miel sur boeing à carlingue d’abeille, pièce montée creuse aux alpinistes de plastique encordés… Il faut s’habiller, tout est prévu, minuté, déjà on doit l’attendre, ne pas comprendre pourquoi la porte est restée close. Que signifie cette brèche, cette étrange parenthèse ? Pourquoi ce dégoût vague, cette énorme torpeur, pourquoi cet ensommeillement presque de conte de fée ? Que s’est-il donc passé ?

Il existe des histoires, pas de mariage ou de voyage, des histoires que l’on raconte, vraies ou supposées vraies, d’hommes, oui, toujours des hommes, c’est curieux, qui sortent acheter des cigarettes, des allumettes, et qui disparaissent, pour toujours ou pour des années. C’est dit aussi dans des chansons. Cela pourrait devenir son histoire, après tout, pourquoi pas ? Avoir fini ses études, être titulaire d’un emploi, se laisser entraîner à se marier, accepter, décider, croire que l’on a décidé et se découvrir une rechute de crise d’adolescence, avec ennui, doute, peur du risque et goût du risque tout emmêlés, c’est bizarre, bizarre, mais pas à négliger. Bizarre, cette rechute. Cela ressemble à un réveil, à un éveil, presque. Se marier, se caser, entrer dans une case, comme on se protègerait contre la vie, comme on prendrait une assurance sur l’amour et la sécurité, est-ce un jeu ? Un jeu de rôle grandeur nature, pour les jours de la semaine et les week-end ? Non, l’adolescence peut aussi voir cela comme un affaissement, un abandon, un abandon de soi au monde. Il semble difficile de s’extraire de l’adolescence. Pas vraiment nécessaire, d’ailleurs, quand on y songe.

Laisser un mot sur la table. Comme cela, ils seront au courant, ils ne s’inquièteront pas, ceux qui sont déjà prêts, futur conjoint et famille qui se dit déjà belle famille. Ils ne vont pas comprendre, mais ils ne vont pas s’inquiéter. C’est mieux pour eux de ne pas s’inquiéter. D’ailleurs, pourquoi s’inquiéter ? On ne cherche pas les personnes majeures quand il n’y a pas de raisons de s’inquiéter. Est-ce une raison pour s’inquiéter, un retour d’adolescence ? Et qui saurait qu’il y avait un retour d’adolescence ? Ou plus grave, peut-être ? Peur aiguë, soudain, d’entrer dans une case, d’entrer dans un modèle de vie, encore un, après les études et les débuts dans la « vie active », marcher sur le chemin tracé du bon citoyen, peur panique, envahissante ? Adolescence ? Ou plus grave ?

Bien. Laisser un mot sur la table.
Ensuite n’emporter qu’un tout petit sac à dos, celui de l’appareil photo par exemple, mais avec carte bleue, monnaie, papiers divers, il va bien falloir s’occuper de tout ça, on verra plus tard, pas besoin de plus pour aller acheter des cigarettes ? Non, ça doit suffire… pour quelques années…

Et filer dans le quartier près du port où se trouvent tous les marchands de tout, denrées plus où moins exotiques dans des boutiques étroites et odorantes ou sur des étals mangeant les trottoirs. Là, s’installer à l’ombre fraîche et commander, comme lorsque sa nounou l’emmenait en virée secrète, des lunes de miel pour tout un mariage… Les laisser fondre sur la langue, avec volupté, jusqu’à l’oubli, l’oubli de l’ennui, de la peur, les laisser fondre sur la langue, se fondre dans cette volupté, comme dans les bras de la nounou. En faire une orgie à ne pouvoir bouger, à ne plus pouvoir entrer dans une case…

Ah, oui, c’est vrai, avant, tout de suite, le mot sur la table : « Je pars acheter des cigarettes… »

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