Ballade à celle qui s’en va sans bruit

Ballade  à  celle  qui  s’en  va  sans  bruit

Ma princesse aux yeux clairs a perdu ses cheveux
Elle regarde loin
Et si pâle est sa peau si faible sa parole
Et son sourire si rare
Que j’ai peur d’oublier ses petits pas légers
Le rosé de ses joues
La grâce de son chant son parfum frais de fruit
La douceur de ses lèvres
Quand son premier baiser me fit son prisonnier

Ma princesse aux yeux clairs a perdu ses cheveux
Sa robe tombe molle
Aux pieds de son fauteuil
Ses doigts silencieux
Gisent dans leur sommeil ombres nacrées de creux
Attentive et dolente en sa présence grave
Il semble qu’elle va
Et poursuit son chemin
Vers cet autre côté où je ne serai pas
La cuirasse brisée chevalier éperdu
En vain
Contre la mort je lance ma douleur ma furie ma colère
On m’arrache ma mie amis secourez-nous amis secourez-moi
On me prend mon amour et vaines sont mes forces

Ma princesse aux yeux clairs a perdu ses cheveux
La camarde est venue
Elle rôde sans cesse et repart et revient
Toute fragilité
Toute faiblesse est bonne à sa noire moisson
Je veux lui arracher
La vive enfant d’antan qui riait aux caresses
Se croyait invincible
Et qui comme les fleurs ne s’en souciait guère
Ne cherchait pas de dieu et croissait au soleil

Ma princesse aux yeux clairs a perdu ses cheveux
Combien de mois de jours me reste-t-il encor pour attirer près d’elle
Antique apothicaire ou savant médecin et sourcier guérisseur
Habile magicien prières et formules ou dragon salvateur
Herbes cailloux serpents scolopendre et mérule et sorcières qu’on brûle
Combien me reste-t-il pour sauver ma princesse

Ma princesse aux yeux clairs a perdu ses cheveux
Ma princesse se meurt je m’affole
Et je cherche et je cours et je crie
Je m’agite en tous sens
Puis je reviens vers elle
Immobile et patiente
Elle attend cou fléchi
Ni ne pleure ni ne rêve
Partie vers un ailleurs
Où je ne l’atteins plus
Elle n’a plus de mots elle n’a plus de souffle
Et peut-être elle a froid
Je serre ses genoux et je demeure ainsi
Triste comme les pierres à la voir décliner
De tout son corps sans plainte
Et bientôt pour toujours toujours m’abandonner

Comme un dernier baiser comme un très doux adieu
Ma princesse aux yeux clairs caresse mes cheveux

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Femme de pierre

Je ne suis jamais née. Je crois vivre depuis toujours. Depuis les grands bouleversements des continents. Mais j’existe de façon différente selon les ères, les millénaires, les siècles. A une époque encore récente, il y a de cela maintenant plus de huit cents ans j’étais une belle pierre d’Aquitaine. Un énorme morceau de roche retenant dans ses ocres pâles les lumières si variables du tendre soleil des bords de fleuve. Je recevais les pluies qui s’infiltraient comme elles pouvaient et pénétraient le sol. Le monde était peuplé, déjà. Je supportais les pas des animaux et ceux des hommes sans déplaisir, comme toute pierre patiente et muette. Il y eut un jour où arrivèrent des charrettes tirées par des bœufs, eux-mêmes conduits par une équipe bruyante d’ouvriers armés de coins et de scies, de mailloches et de cordes. De moi, l’énorme pan de roche, fendu, frappé, éclaté, furent extraites, et chargées sur les charrettes, de nombreuses sœurs brutes, aux abords rugueux et irréguliers. Leur destination fut peut-être identique à la mienne. Peut-être non. Certaines ont empierré les routes, sans doute, d’autres se sont entassées en murs de châteaux ou de maisons nobles.

Pour ma part, au terme d’une longue route cahoteuse m’arrachant encore des éclats, écrasant mes aspérités contre les ridelles de la charrette ou contre les autres pierres voyageant avec moi, je fus soulevée par des pièces de bois glissées de telle sorte que, placée en porte-à-faux, je n’opposais aucune résistance lorsqu’on me fit basculer sur un plateau de grosses planches, l’établi en plein air d’un tailleur de pierre.

Au cours des phases successives de son travail je perdis de grandes quantités de matière, mon cœur craignant de plus en plus d’être mis à nu, d’apparaître en pleine lumière. Mais j’appris beaucoup des longues heures passée seule au milieu de ce chantier bruyant où chacun de tous ces hommes semblait sans cesse requis pour aider ses compagnons, et où les périodes de silence succédaient aux discussions plus ou moins âpres ou amicales. Il m’apparut que l’homme chargé de me donner l’apparence globalement choisie par un maître d’ouvrage était ce qu’ils appelaient un pécheur. Il devait en s’occupant de moi, et d’autres, de nombreuses autres roches brutes à façonner, expier ses fautes, dont il ne révéla pas alors la nature.

Que sont les fautes des hommes, ces êtres fragiles et éphémères qui ont à peine le temps d’apprendre que déjà ils disparaissent? Et que déjà ils se fondent dans l’humus qui les recueille, lorsque leurs congénères s’assemblent pour les déposer dans le trou qu’ils creusent pour leurs morts? Après leur bref passage, une mémoire peut-elle subsister de ce qu’ils sont, de ce qu’ils ont vu, appris? Ils s’agitent, fabriquent, détruisent et construisent, semblent persuadés au plus haut point de l’importance de leurs agissements, et, un jour, rejoignent l’ombre et la poussière, se fondent en immobilité, remplacés par leurs enfants irréfléchis et joyeux.

Pour la si vieille pierre que je suis c’est un spectacle inépuisable, quoique souvent privé de sens. Je n’ai pas besoin de connaître le sens que les hommes donnent à leur vie et à leurs actes. Je ne saurais le comprendre, pas plus qu’ils ne peuvent approcher en profondeur les sensations de ma vie immobile et quasi éternelle. La gravité de mes regards sur eux ne les interrompt pas dans leurs tourbillons futiles. Et si l’un ou l’autre s’arrête parfois, vaguement interrogateur devant mon demi sourire, se demandant quelle est la part de l’ironie et celle de la tendresse, n’ayant pas la patience d’attendre une réponse, il repart bredouille, vite consolé par la rencontre d’un congénère et oubliant à l’instant sa question et sa légère déconvenue.

Je fus, sortant des œuvres de ce pécheur, déclarée recevable pour orner la façade principale d’une petite église romane érigée sur un piton boisé, entre château et village.  Amincie, taillée, sculptée au burin et à la râpe, je fus coincée entre d’autres pierres, dans un savant assemblage qui devait permettre au tympan travaillé en arc de cercle de défier le temps et ses épreuves, et de perdurer bien après ces générations de laborieux constructeurs.

Isolée de la foule, en dehors des grandes fêtes religieuses conduisant vers moi des processions chantantes, je commençais là une nouvelle étape de ma vie contemplative, regardant le renouveau des feuilles puis leur chute avec le retour des saisons, les oiseaux couvant leurs nichées, les cochons venant se goinfrer des glands tombés des vieux chênes, les vieilles femmes rassembler leurs fagots avant d’en surcharger leur dos déjà ployé.

Il semblait, à entendre discuter le curé et son bedeau, que l’homme avait expié ses péchés en me donnant les traits de sa belle. J’avais bonne apparence, cela m’était souvent confirmé, soit par leurs regards, qui ne m’étaient pas agréables tant ils semblaient chercher derrière moi les joues fraîches et les yeux vifs qui m’avaient servi de modèle, soit par les jeunes gens qui venaient parfois commenter l’arrangement de mes tresses de pierre, l’ovale de mon visage et la hauteur de mon front. Ceux-là me plaisaient, gais et gentils, plaisantant entre eux et m’adressant parfois la parole. Ils levaient même la main jusqu’à moi pour caresser mon petit nez et disaient que cela leur porterait chance. Cela devait être vrai car ils revenaient en entraînant leurs voisins et leurs cousins.

Pourtant ils ignoraient mon secret, le secret que m’avait confié l’homme pécheur avant de m’installer lui-même parmi les autres sur le mortier de scellement, à ma place d’observatrice. Secret dont je ne connais qu’une partie, l’autre, celle qu’il a gravée à l’arrière de mon cou, destinée à être dissimulée pour toujours dans l’appareillage du cintre, ne m’étant de toute façon pas compréhensible.
Et le temps a passé, comme il passe sur les pierres. Marquant peu à peu son empreinte, sans que les générations des hommes y soient sensibles parce que leur vie n’est pas à l’échelle de la mienne, de celle des pierres à flancs de montagnes ou de collines, ou des pierres transformées, travaillées par leurs mains affairées, et qui demeurent alors qu’eux ne sont plus.

Les jeunes gens ont continué longtemps leurs promenades les conduisant à l’ombre des murs épais de l’église et des frondaisons des chênes. Ils riaient, frôlaient mon nez, échangeaient des baisers, et redescendaient vers le village en se tenant par la taille. Leurs enfants après eux, et leurs petits-enfants ont agi de même. Et mon nez peu à peu s’est usé, sous leurs doigts et les griffes légères des passereaux venus picorer mon calcaire. Les reliefs de mon visage se sont atténués, des lichens se sont installés dans les circonvolutions de mes tresses. J’ai gardé mon secret. Ils ne savaient pas m’interroger comme il aurait fallu. Ils étaient insouciants. Et je ne savais pas comment leur donner des indices. Je ne pouvais pas non plus trahir l’homme pécheur qui avait cru trouver ainsi le pardon pour ses fautes. Ils sont morts, tous, depuis des siècles. Et moi je n’ai pas changé de place, pas plus que mon secret.

Le monde a beaucoup changé autour de moi pendant le dernier siècle. Les jeunes gens qui viennent maintenant discuter près de l’église arrivent montés sur des engins bruyants et malodorants. Il semble que leurs jambes ne les portent plus aussi bien que celles de leurs aïeux tant ils ont de réticences à les utiliser. Les chênes ont été coupés, parce que trop vieux et menaçant de tomber. Il a été décidé de hâter leur fin pour éviter tout risque de blessure à la foule qui circule maintenant quotidiennement dans les rues illuminées qui m’entourent.

Les hommes ne savent plus attendre la mort des arbres. Ils ont peur de la chute des branches. Ils rédigent des règlements pour s’en protéger. Mais eux-même s’inventent des modalités de souffrance bien supérieures. Et pas aléatoires. Certaines. Souffrances de masse. Ils se brutalisent entre eux, s’enferment, se font exploser eux-mêmes, ou les uns les autres, avec la poudre qu’ils utilisent pour nous rompre lorsqu’ils ne peuvent attaquer, entamer, avec les mâchoires de leurs machines, nos falaises, nos parois dont la hauteur et l’âge leur apparaissent comme un défi. Ils déclenchent des réactions en chaîne qui rayent du monde des populations entières d’humains, et détruisent à petit feu ceux qui survivent à ces catastrophes. Ils étudient, ils observent, ils poursuivent leur oeuvre. Ils en sont fiers. Et ils ont peur de la chute des branches. Qu’ils sont donc étranges, ces êtres éphémères…

Au milieu de tout cela, il en est qui se soucient de la conservation et de l’esthétique des bâtiments qu’ils appellent leur patrimoine, national ou mondial. J’en fais partie, ont-ils décrété. Avec l’ensemble de la petite église. Submergée par leurs vagues d’urbanisation, elle bénéficie à peine, entre leurs immeubles, d’un étroit périmètre laissant le soleil réchauffer parfois la voûte de sa sévère et douce abside ronde.

Avec toutes ces fumées d’engins autour de moi, j’étais devenue si grise que j’ai dû subir, comme l’ensemble de l’ancien refuge pour les voleurs et la prière, des opérations longues et fastidieuses de restauration, ravalement de façade, disent certains. Des personnages qui ont l’air d’être très importants, et très ennuyés, viennent périodiquement contrôler le résultat des travaux que d’autres ont effectués sous leurs ordres. Ils semblent à peu près satisfaits et disent que l’on ne peut mieux faire sans détériorer autre chose.

Cela me convient. J’ai retrouvé ma douce couleur ocre doré de la pierre d’Aquitaine et malgré mon nez passablement effacé et mes yeux picorés par les oiseaux me donnant la belle sagesse du regard intérieur, on vient parfois de loin pour me dessiner ou me prendre en photo, me voir simplement et raconter des histoires à mon sujet. Elles sont rarement vraies, mais ils ne le savent pas. Ils ne croient plus que frôler mon nez leur portera bonheur. Ils n’imaginent même pas que je garde encore mon secret. Que je puisse même en receler un. Cela vaut mieux pour l’église et pour moi.

Car les hommes de maintenant, pas tous, bien sûr, mais la plupart, n’ont guère de respect pour les choses d’avant. Ils les aiment pour les consommer et s’en défaire au plus vite. Ils craignent tant la mort, que de détruire ce qui les entoure leur donne peut-être l’illusion d’avoir un pouvoir sur elle? Qu’importe! Ils auront disparu, ceux-là aussi, que j’aurai encore mon secret scellé en moi. J’attends, sans hâte, avec la patience des pierres qui ont tant vu et entendu.

J’attends qu’un jeune homme ou une jeune fille vienne à pied me regarder et me sourire, caresser ce qui reste de mon nez, écouter la réponse que je peux faire si on sait lire sur mes rides de pierres ce que l’homme pécheur a voulu transmettre en le cachant. Alors, peut-être ferai-je comprendre à ce jeune homme charmant et droit, à cette jeune fille rêveuse et attentive, que j’ai en moi un mouchoir blanc plié sur les cheveux d’une belle dont les traits se sont effacés bien avant les miens.
Et sous le mouchoir, s’il existe encore avec ses cheveux enclos, les pièces d’or dérobées au marchand attaqué après une foire, laissé pour mort dans un fossé. La faute était lourde à porter, et cet or sans doute trop entaché pour s’établir grâce à lui en ménage. Peut-être la belle à qui l’on voulait l’offrir n’en a-t-elle pas voulu? Ou bien c’est de l’homme qu’elle n’a pas voulu? Ou bien elle est morte avant que l’homme ait expié?

L’or est en moi, secret, lavé par le temps et les prières des hommes. Mieux vaut sans doute qu’il y reste, tant la convoitise qu’il inspire rend les hommes méchants…

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Petit mort de la tête

Il allait par les champs, tout le jour, tous les jours, depuis qu’un jour il avait perdu la tête, il allait par les champs comme s’il la cherchait peut-être, un jour il y a longtemps il n’avait plus pu apprendre, d’un coup, cela n’avait plus servi à rien de l’envoyer à l’école, plus de tête, perdue peut-être. On avait insisté, le maître avait même voulu l’envoyer voir un docteur qui aurait peut-être pu comprendre comment ça lui était arrivé, cette histoire, et peut-être surtout le faire redevenir comme avant. Mais c’était une affaire à dépenser de l’argent, et du temps. On ne pouvait pas, dans sa famille. Dépenser du temps, et de l’argent, on ne pouvait pas. Sa mère s’était un peu désolée, pas trop. Lui, il aurait bien voulu qu’elle s’inquiète davantage, qu’elle fasse quelque chose, il ne pouvait rien faire, lui, il était juste pas bien, il n’y avait qu’elle qui aurait pu. Qui aurait pu l’aider. C’est ce qu’il avait cru.

Malheureusement il ne pouvait pas expliquer. Il se taisait. On l’avait secoué. Il se taisait. Tout ce qu’il arrivait à faire. Se taire. Malheureusement Heureusement, elle avait d’autres enfants, sa mère, et ils étaient normaux, les autres, ils ne lui avaient pas tourné idiots comme lui. Alors il s’était habitué à rester comme il était devenu, « simplet » disaient ceux qui avaient l’air gentil, « débile » ceux qui n’avaient pas le même air. Et il allait par les champs, depuis longtemps maintenant. Habitué. Et les autres, habitués aussi.

Il allait, il allait depuis ce jour où, tout petit, il avait perdu la tête, sa tête. Qu’on lui avait tournée pour qu’il ne voie pas ce qui se passait. Même s’il n’avait pas vu, il n’avait pas eu le droit de dire ce qui s’était passé. C’était défendu, interdit. Les enfants ne peuvent pas comprendre, donc c’est interdit d’en parler. Et de toute façon il n’avait pas vu, vu. Ce jour-là, ça s’était passé sans qu’il voie. Interdit d’en parler. Il n’avait pas parlé. Il n’avait plus parlé. Presque plus. Quelques mots encore, parfois, mais ça ne servait à rien. Ce qu’il fallait dire, c’était défendu. Ensuite plus tard, plus tard, ce serait oublié.

Il allait par les champs, tout le jour, tous les jours. Comme si on pouvait retrouver sa tête, si on l’avait perdue, petit. Il allait, il allait. Il n’était pas méchant. Il s’était fait un peu sauvage de ne pas être comme les autres, comme ses frères, ou comme ceux qui avaient été avec lui à l’école, avant.

Il y avait des choses qu’il aimait faire, qu’on pouvait lui demander de faire, maintenant qu’il était grand, qu’il faisait très bien même, s’acharner sur des massifs de broussailles et de ronces, tout couper, arracher, et puis, quand venait une petite pluie, tout brûler, entretenir ce grand feu, le nourrir, lui donner à dévorer ces tas de branches emmêlées, de tiges tordues, hérissées d’épines, oui, ça, il voulait bien, et il savait le faire, il était fort, il arrivait au bout, épuisé, paraissant presque heureux.

Mais garder des animaux, des enfants, se charger d’une course, il ne pouvait pas, il ne savait pas, il avait peur, il s’enfuyait, ce n’était pas pour lui. Il voulait bien se laver si on lui disait de le faire, mettre des vêtements propres si c’était ce qu’il trouvait, ou sales, si on lui avait laissé ses habits des jours d’avant. Il voulait bien manger, si on voulait bien de lui à table quand il arrivait d’avoir couru les champs. Mais il ne voulait pas, il ne pouvait pas rentrer toujours à la bonne heure, et décider lui-même de ce qu’il devait se mettre sur le dos. La fois où on l’avait grondé parce qu’il était rentré très tard, après le dîner de la famille, il était reparti, l’air absent, sans manger, sans manteau, et on l’avait retrouvé, loin, trois jours après, assis contre un talus, silencieux, affamé. On l’avait nourri, on ne l’avait plus grondé. Il n’avait plus sa tête, sa mère l’aimait quand même, comme ça. Son père préférait ne pas en parler. Il y avait les autres enfants qui n’étaient pas comme lui, qui étaient normaux. Ça valait mieux. Lui, il allait par les champs, il allait. La mère disait que tout petit, il était beau et intelligent. Un enfant comme tout le monde en aurait voulu. Maintenant qu’il était grand, grand comme un homme, il était beau encore, et fort. Il avait entendu qu’elle le disait. Mais quelle misère qu’il soit comme ça ! Qu’il ait perdu la tête ! Idiot ! Qu’il soit devenu idiot !

Il y avait beaucoup de champs tout autour. Il allait, il allait par les champs. Quand on ne le mettait pas à débroussailler un taillis, il allait par les champs.

Un jour un champ de blé était devenu un champ de bataille. Il était allé par ce champ, tout le jour. Puis il avait cherché d’autres champs de bataille, tout autour. Et il y en avait, la guerre était venue par là. Il allait par les champs, tout le jour, parfois la nuit avec la lumière des obus. Il y avait couchés par terre, des jeunes hommes, un peu comme lui, qui avaient perdu le tête, ou le bras, ou la jambe, ou beaucoup de sang, mais pas comme lui, qui étaient morts, complètement morts de partout, alors que lui n’était mort qu’un peu puisqu’il n’avait plus toute sa tête. Il les aimait ces jeunes hommes, ces grands garçons,  tout morts, avec ce qu’ils avaient perdu, la tête, le bras…

On ne l’envoyait plus débroussailler. Il restait avec eux, il se couchait sur eux, comme on lui avait fait quand il était petit et qu’il avait perdu la tête. Mais lui, il le faisait gentiment, il n’était pas brutal, il les tournait comme il fallait, il leur faisait des caresses pour qu’ils soient bien. C’était défendu de parler. Lui ne parlait toujours pas et eux, ils étaient morts. Ca allait. Il allait. A la fin il n’y avait plus de champs de bataille, c’était partout la guerre. Partout. Il allait. Partout. Il essayait d’être gentil, très gentil, avec ces morts qui étaient un peu comme lui. Et il était si bien quand il se couchait sur eux…

Il allait, il allait, tout le jour, parfois un peu la nuit, il y avait des lumières violentes, puis le noir, puis encore des lumières, on pouvait voir tous ces morts, et lui qui allait, qui allait, et s’arrêtait parfois, et se couchait…

Une nuit un homme en blanc tout sale l’a pris par le bras et emmené dans une maison qui n’était pas la sienne. On lui a parlé. Il ne voulait pas, ne pouvait pas répondre. Il a donné le papier avec son nom et son adresse que sa mère remettait dans sa poche quand elle avait lavé ses vêtements. On l’a conduit chez lui, on a parlé à ses parents, ils ont hurlé, gémi, ils se sont tus, ils ont acquiescé quand on leur a ordonné de le garder enfermé chez eux. Il a compris qu’il ne pouvait plus aller dans les champs. Le père ne parlait pas. La mère pleurait souvent. L’oncle le regardait, le regardait.

Lui, il ne pouvait plus aller dans les champs comme avant. Il ne pouvait plus aller. Plus de champs. Sa tête, alors, il l’a complètement perdue. Il est devenu complètement mort, de partout. On l’a trouvé pendu, dans le grenier. Personne n’y allait jamais dans ce grenier. C’est l’oncle qui l’a trouvé là, comme ça. Il n’y allait jamais non plus, dans ce grenier, l’oncle. C’est du hasard qu’il y soit allé, cette fois.

Lui, lui qui avait déjà perdu la tête, et qui de toute façon ne parlait plus, on n’a pas su , quand les gendarmes sont venus, s’il s’était pendu tout seul, ou avec de l’aide, et s’il avait été d’accord pour qu’on se couche sur lui avant qu’il soit mort de partout, qu’on se couche sur lui comme quand il était petit, quand il avait perdu sa tête, qu’on lui avait tournée, avant qu’il soit mort, mort complètement, mort comme ceux qui étaient sur les champs de bataille et qui ne parlaient pas non plus, c’est défendu, on peut étouffer tout ça, pas besoin d’air pour un mort.

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La mort de l’écrevisse

Les vélos sont accotés au talus, dissimulés par le bosquet qui surplombe la petite route descendant vers le ruisseau. Ruisseau quand la saison est sèche, rivière si les pluies sont généreuses. L’eau murmure et chuinte aux barrages moussus des racines retenant divers débris, aux creux boueux des berges et sur les pierres qui servent de gué aux pêcheurs. Quand un nuage perd de la vitesse et taille une brèche dans la cape nocturne, la lune balaie le groupe silencieux, affairé sous les saules trapus. Ils sont cinq, deux frères de chez Fauret, la fille du moulin, le cadet du garde-champêtre et son cousin. C’est beaucoup, cinq, pour garder un secret. Mais ils se connaissent depuis toujours et n’en sont pas à leur première entreprise. Si tout se passe bien ils auront demain le peu d’argent qui manque encore à leur nouvel ami, caché dans un grenier, pour aller rejoindre sa mère en zone libre.

En étouffant des exclamations de dégoût, ils sortent d’un sac quelques rognures de viande avariée et les partagent entre les trois nasses qu’ils ont cachées deux jours plus tôt dans les broussailles. Reste à s’accorder sur l’endroit où disposer ces nasses et attendre que les écrevisses viennent gentiment les remplir. Une vingtaine par nasse, ce serait parfait. Ils espèrent que rien ni personne ne viendra troubler cette belle nuit nuageuse. Ils ont quinze et seize ans, quatorze pour le cousin, sont heureux de l’escapade, conscients du danger mais certains d’avoir pris tant de précautions que seul un bien méchant hasard pourrait contrecarrer leurs plans.

Le vent, là-haut, laisse de plus en plus souvent libre passage aux rayons de lune. Il faut s’accroupir au pied des saules, s’immobiliser, se fondre dans les troncs noueux. Le jeu de cartes reste au fond d’une poche, trop périlleux de se distraire. Une chouette hulule, chassant pour ses petits. Les feuilles des peupliers bruissent par vague. Une grosse automobile s’annonce, pleins phares sur la petite route. Leurs cœurs battent la chamade. La tête aux genoux, tassés, aussi immobiles que des pierres, ils voient passer et disparaître le véhicule inquiétant et se demandent du regard où il peut bien aller.

Le ruisseau, serein, n’a pas interrompu son petit chant de nuit. Cela les apaise. Un moment plus tard, l’un deux se lève doucement et s’en va vérifier l’état de la pêche. On n’attendra pas d’avoir les vingt partout, il s’en faut d’une bonne moitié. Un peu de patience encore malgré l’angoisse qui s’est insinuée avec cette troublante voiture. Ils se sourient pour se redonner du courage, sentant que leur assurance du départ s’est amenuisée, a flanché. La veille reprend, silencieuse, emplie des mille vies animales et végétales qui les entourent et dont ils connaissent depuis leur petite enfance les plus infimes soupirs, les trottinements, les traces et les caresses.

Soudain, du plus gros des saules au pied desquels ils sont blottis, s’élève dans une agitation désordonnée un vol de passereaux dérangés dans leur sommeil. Une fouine ? Non, hélas ! Une bicyclette freine sans ménagement et une voix appelle, sourde et coléreuse. Muets, aux aguets, ils espèrent encore échapper à l’œil inquisiteur qui fouille les abords du ruisseau. Ce serait compter sans la lune… Elle joue deux ou trois secondes à percer les nuages, assez pour les dévoiler au visage furieux qu’ils reconnaissent à l’instant. Ils font bloc. Les choses se gâtent…

C’est ici que je te trouve, toi ! Et avec ton cousin ! Rentrez à la maison, on s’expliquera demain ! Vous deux, si vous voulez que les choses en restent là, oubliez tout, sans quoi vos parents auront de mes nouvelles. Toi, la drôlesse, tu repars avec moi, j’ai idée que ton grenier n’est pas aussi vide que ta mère s’en plaint.
N’y va pas, jette le cousin, je sais ce que l’oncle fait aux filles. Je l’ai vu dans la grange, avec l’Eliette, elle se débattait mais il était plus fort. Ils l’ont chassée, après, disant que c’était une voleuse !
Oh, toi, le morveux, mêle-toi de ce qui te regarde, pas de ce que tu ne comprends pas, tu veux ?
N’y va pas, je t’assure que l’oncle est comme ça, t’auras personne pour te défendre !
Mais te tairas-tu ? Tu ne sais pas de quoi de quoi tu parles !

L’homme tenait fermement la jeune fille par les poignets, menaçant son neveu sans pouvoir lui allonger la gifle qui l’aurait au moins muselé devant les autres. La lune les éclaira à nouveau un bref instant, le temps pour le garde-champêtre de croiser le regard atterré de son fils.

C’était vous, pour Eliette ? C’était bien vous ?  Ils le disaient, les autres, et je ne croyais pas !
Ce que disent les autres, c’est de la calomnie de jaloux, parce que j’ai un uniforme et pas eux. Et l’Eliette, c’était une traînée et une voleuse. T’as pas besoin d’écouter ton cousin qui ment comme y respire ! Tu rentres et tu la fermes !
Si la voiture repasse, on dira que c’est vous qui braconnez tous les soirs, intervint l’aîné des frères. Il s’en dit des choses sur vous, au village, ça ne peut pas être tout des calomnies… Votre uniforme, c’est bien arrangeant, non ?
Et insolent, avec ça ! Tu vas voir, toi ! Et tes parents avec !

Des garçons de quinze ou seize ans, ça ne sent pas sa force. Les deux frères, par les épaules et le cou, par les bras, se saisirent de l’homme, qui, déchaîné mais sans un mot, les bourra de coups de pieds, tenta de les mordre, se démena tant et si bien que la fille, libérée, et le neveu vinrent à la rescousse. Seul le fils, paralysé, bouleversé, regardait le combat silencieux sans y prendre part. Le foulard de la fille servit de bâillon par-dessus la poignée d’herbes fourrée entre les mâchoires furieuses. Le neveu s’en fut relever les nasses dont les attaches ligotèrent pieds et mains du garde-champêtre. Que faire ensuite ?
Dans les sacoches de sa bicyclette, une corde, une lampe, un paquet de beurre, tiens donc… On tira l’homme vers le ruisseau, on l’attacha avec sa corde, assis dans l’eau, à une grosse racine, on lui banda les yeux de son mouchoir, on s’éloigna pour réfléchir, il fallait statuer… Et vite… Plus qu’une heure et le jour serait là !
D’abord recueillir les écrevisses. Elles étaient venues en nombre et se repaissaient du restant des appâts. Elles valaient l’argent qui manquait. Les bestioles rassemblées, grouillantes, agitaient leurs pinces dans les deux seaux apportés à cet effet. Restait à trouver la solution pour ne pas être inquiétés par le bonhomme provisoirement hors d’état de nuire, qui n’en demeurait pas moins, les fesses au frais, le père de leur copain figé de peine et de dégoût. Les choses se compliquaient. Chacun devait faire une proposition, on voterait ensuite. Ils avaient tous en tête les horreurs de ce temps de guerre qui se racontaient à voix basse. On ne pouvait en arriver là, pas avec le père d’un ami, qu’on connaissait depuis toujours, même si…
Ce fut la proposition de la fille qui l’emporta, à l’unanimité. Il fallait retarder le moment où l’on s’apercevrait que le garde-champêtre ne revenait pas, et quand on finirait par le trouver, il ne devait pas parler.
Laissant son fils prostré, ignorant de la décision et des modalités d’exécution, on porta l’homme jusqu’à un coude du ruisseau où la végétation enchevêtrée le masquerait aux regards. On l’assit sur un tapis de mousse, on le rattacha solidement à un arbre, on remplaça la touffe d’herbe par une petite écrevisse bien remuante, on replaça soigneusement le bâillon, on expliqua qu’on avait besoin de deux bons jours de tranquillité, qu’ensuite on pourvoirait à sa nourriture, voire à son retour. Qu’il devait être patient, cela lui donnait le temps de réfléchir à sa conduite avec les jeunes filles, entre autres…

Lorsque deux jours plus tard, les deux frères du Fauret, la fille du moulin et le neveu vinrent le libérer, l’écrevisse était morte, étouffée et écrasée, la pauvre, mais après avoir si bien entamé la langue que l’homme était devenu fou, et muet.

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Silence fracassé

Est-ce vrai que les arbres pleurent ?
Oui, bien sûr, regarde celui-là, tu as souvent mangé les gouttes de gomme des cerisiers… et dans mon atelier, tu as vu les cailloux ambrés dans lesquels passent la lumière, c’est de la résine durcie, je m’en sers pour faire de la colle, tu le sais ? On recueillait jadis les larmes des pins, dans la forêt des Landes, après les avoir blessés pour qu’ils pleurent.
Ils chantent aussi ?
Oui, et le vent avec eux. Et c’est comme l’eau d’un fleuve, cela change sans cesse. Tu peux te promener toute ta vie, tu n’entendras jamais la même chose. Chansons d’été, peupliers bruissant comme des voiles impatientes de retrouver le large, grands chants d’automne, éparpillant les feuilles rouges sur les labours, mélopées d’hiver sifflées à branches nues sur les champs froids, courtes ritournelles du printemps, interrompues par les averses, et reprenant quand s’ébrouent les sous-bois. Oui, les arbres chantent. Chacun à sa façon mais aussi tous ensemble.
Alors s’ils chantent, s’ils pleurent, il faut bien qu’ils parlent aussi…
Ils parlent, on peut le dire, le croire, c’est comme tu veux, c’est toi qui sais, chacun entend et comprend comme il peut les petites musiques et les mots qui circulent.
Et bien c’est à eux que je poserai des questions, celles que je ne pose pas parce que c’est trop difficile d’avoir des réponses.

L’enfant mesure de ses bras le tronc d’un chêne, puis d’un autre et les referme sur un pin bien droit qui porte la croix rouge de ceux qui vont tomber pour abonder les tas de grumes en bord de route. En fin de promenade, enivrée, heureuse, elle a la peau griffée de toutes ces embrassades, et dans les narines les multiples parfums des bois.
Pourtant, quand vient le soir, dans l’angoisse du sommeil qui recule, dans la terreur des pas qui s’approchent, pour la prendre, ou les prendre, eux, car elle entend ainsi les battements du sang à son oreille écrasée sur l’oreiller et la terreur monte chaque soir, inexorable, « ils » viennent, pour la prendre, ou les prendre, eux, pourtant quand vient le soir, il lui reste toutes les questions que l’on ne peut poser, qui demeurent sans réponses.
Elle est toute entière ces questions, elle n’en a pas les mots, c’est de l’indicible qui envahit la gorge, les yeux ouverts dans le noir avec ces grandes lumières qui passent, fulgurantes, aveuglantes, et qui habitent ensuite les cauchemars. Elle dit qu’elle ne sait pas dormir. On lui dit de prier. Elle essaie sans en être apaisée. Dieu est partout, mais trop loin. Elle se raconte des histoires, encore d’autres histoires, dans cette solitude de la peur nocturne, pour exorciser ce qui de l’intérieur la ronge de ne pas savoir, de ne pas savoir ce qu’elle voudrait savoir, ni à qui demander, d’être dans ce brouillard où apparaissent et s’estompent des visages inconnus qu’il lui semble connaître, de ne pas savoir non plus comment elle grandit avec un extérieur normal autour de ce drôle de vide, de ce pas de date, ce pas de lieu, ce pas de voix de ceux dont on ne parle pas, qui sont morts, et dont elle vient.
Si les arbres parlent, elle doit leur demander, à eux, si proches d’elle, et bons. Elle demandera sans paroles, ils comprendront, ils répondront avec leurs paroles à eux. Elle se sent petite fille des bois, elle deviendra femme des bois, elle apprendra la langue…

Elle est là. Son large demi-siècle n’a rien pu pour elle (pour moi, chêne séculaire, un demi-siècle est bien peu…), elle est presque vieille, elle a des descendants et n’a pas de réponses, elle cherche et cherche encore, comme l’enfant qu’elle était, qui ne savait dormir. Elle revient écouter, je lui parle, elle écoute ma voix, mes mots. Elle est là, sous la pluie, repliée, trempée, silencieuse. Si elle a trop froid, elle sera malade. Elle n’y prend pas garde. Elle est là pour autre chose. Ne veut pas s’en soucier. C’est déjà arrivé, depuis tant d’années qu’elle vient. Ils poussent plus vite que nous, mais moins haut, et courent partout, les humains, mais ils sont fragiles. Je le suis sans doute moins qu’eux, ou différemment. Il en faudrait beaucoup pour geler mon cœur ou entamer mon écorce et ma chair… Alors qu’eux… un coup de hache, un coup de feu, et leur sève rouge explose, éclabousse les pierres, se répand, et brunit, et noircit. Ils sont à terre, avec un grand cri enfermé dans leurs yeux immobiles, bouche ouverte sur la dernière bouffée d’air ou de stupeur, membres tordus, affalés dans l’incohérence de la chute. En eux il n’y a plus de vie. Pour eux tout est fini. Je le sais, je l’ai vu.
Elle pense à tout cela sous la pluie. Elle ne les a jamais connus, ils ne l’ont jamais vue. Elle est née après tout cela. De tout cela. Dans l’omniprésence de leur absence tue. Dans la peine infinie qui sourd des longs silences. Elle est maintenant plus vieille qu’eux quand cela leur est arrivé. Je sais qu’elle imagine, qu’elle essaie de savoir. Depuis qu’elle en a eu l’âge, qu’elle a obtenu de marcher seule pendant de longues heures, elle est venue, elle vient pour écouter. À chaque temps de l’année où les vents changent leurs forces et leurs chemins, où les bourrasques la secouent, elle vient. Elle écoute. Elle attend mes paroles. Le vent les lui porte, les lui susurre à l’oreille ou les cogne à sa peau, les jette à ses joues, à son front, en râpe ses bras, ses jambes… Il rugit ou murmure, je ne sais ce qu’elle comprend de ce que je dis dans ma langue ligneuse. Elle passe ses doigts sur les creux de mon tronc comme lisent les aveugles, parfois elle froisse une feuille, ramasse une brindille, un peu de mousse, une noix germée oubliée là par un mulot, elle hume cela dans le creux de ses paumes. Et son regard s’enfuit vers des lointains où je ne peux la suivre. Les autres ne viennent pas comme elle à chaque saison. Je les ai vus une fois, deux fois. Ils ont oublié, ou voulu oublier. Ou voulu ignorer qu’il s’était passé ces choses-là. Et ainsi pas besoin d’oublier.
Mais elle, elle a toujours attendu, attendu qu’on lui dise, sans pouvoir poser les questions. Ceux des humains qui avaient vu les corps disloqués avec les yeux immobiles, les cris paralysés, le sang et le silence, ceux-là sont morts, ou meurent l’un après l’autre, clos, sans paroles pour elle, sans lui laisser, à elle, ces images qu’ils emportent.

Il n’y a plus que moi pour répondre. J’ai vu et n’ai rien oublié. Je suis la mémoire qu’elle cherche, qu’elle recueille avec peine et ferveur. Elle appelle, de ses doigts sur l’écorce, et je pleure. Et je chante. Et je parle. Je veux bien raconter, je raconte. Je sais que sa sève rouge à elle, son sang, est l’enfant étranglé des corps rompus, des chutes, des cris et des fusils, des gouttes écrivant sur la pierre et la terre, dans l’énorme silence d’après les meurtres, écrivant pour ne pas être lues, pour disparaître à la pluie et au temps, rouges constellations témoins fugaces de la folie des hommes. Elle attend, elle écoute. Je raconte. Il y eut des cheveux accrochés à mes branches, ils étaient tièdes et brillants, les oiseaux revenus s’en saisirent pour leurs nids. Il y eut un bouton arraché qui roula jusqu’à un creux de racine. Il doit y être encore, piégé par ma lente croissance, englouti dans une cicatrice. Il y eut ce que burent les feuilles mortes, et le butin des fourmis, échappé des doigts coupés pour voler l’or. Le cœur de ceux qui tuent est avide et sans scrupule. Il y eut des larmes sans bruit, de ceux venus après, trop tard, muets devant l’horreur, appelés là, venus pour constater. Il y eut des mains chaudes effleurant la peau froide, des mots au son absent posés sur du papier, simulacre de prière ou de reconnaissance avant de laisser tout disparaître, pauvres visages aux paupières mal fermées, membres raidis, mêlés au fond d’un trou, feuillets offerts aux souris dans des officines pressées de perdre les traces.

Elle veut savoir, tout savoir. Comment était le jour d’été lorsque les voitures les ont amenés là, hors la ville, hors regards, hors secours, au lourd secret des bois, si le soleil dansait à travers les frondaisons ou si grondaient les orages d’août dans un ciel assombri, si la brume est montée du sol meurtri au soir tombant, linceul impardonné autour des corps, elle veut savoir s’ils ont crié l’inaccompli, s’ils se sont tus aux frontières de l’amour avant qu’on ne les taisent, si leurs mains se sont jointes. Tout est gravé en moi, et je parle, je dis, je lui réponds, sans réserve, mais il n’est pas de lieu où l’on enseigne à déchiffrer ce que je lui transmets, cette mémoire brisée pour elle demain, ce que j’ai vu, senti, ce que j’ai entendu, je dis, tout, et aussi que je l’aime, de sa fidélité, nous mêlons nos oraisons païennes, elle veut savoir quand la pluie sur leur front et quand et si les brises ont séché ce qui avait coulé avec les vies parties, elle veut savoir, savoir où on les a laissés, et si des noms les ont un temps accompagnés, presque effacés, mangés de mousse et d’insectes, elle veut…
Elle s’est dépliée sous la pluie, elle frissonne, il lui faudra un jour abandonner, l’a-t-elle fait, déjà ? abandonner ce qu’elle aurait eu de souvenirs avec eux s’ils n’avaient pas été fauchés avant sa vie à elle, encore en suspens, à venir après les morts. Je voudrais lui offrir, lui traduire, cette mémoire diffuse qui l’entoure et l’envahit lorsqu’elle est près de moi, qu’elle poursuit vainement lorsqu’elle marche pour marcher, pour avancer sur des chemins qu’elle connaît, sur d’autres qu’elle croit reconnaître et où elle se perd, parce que marcher c’est aussi se perdre, et cela repose. Elle chante doucement, comme on pleure, et je chante et je pleure et je parle, elle n’a de réponse à ses questions d’enfant, à ses questions de femme, que ces gifles de vent où elle entend sans les comprendre mes phrases hachées, mes mots mouillés comme leurs os abandonnés, tout près de mes racines.

La pluie s’éteint en faible bruine, le silence s’épand. Elle, elle étend son corps à pleine terre, bras ouverts, dos épousant l’humus et la pierre, épousé par eux, visage clos sur sa peine et sa demande. Mes dernières paroles, les entendra-t-elle ? Savoir que ce sont mes dernières paroles, cela peut-il l’aider à se défaire de sa souffrance, de ce vide, de ces absents, qu’elle a cru pouvoir être les soutiens, les haubans d’un axe pour sa vie ?

Jadis nos fûts, s’ils étaient droits, pouvaient être taillés en mâts.
Jadis on a pendu des hommes à nos branches, on nous a équarris pour élever des gibets dans les villes, mais aussi travaillés en étraves de navires, fendus et polis pour assembler les planches des lits et des cercueils, pour sculpter des berceaux et des armoires, on nous a mis en bûches pour réchauffer les cœurs tristes. Qui a su, pourtant, que nos paroles, comme d’infinies prières, des psaumes déroulés, pouvaient consoler, apaiser ?

Préservé jusque là, épargné par les ouragans et les haches, grand, fort, je pourrais vivre encore des siècles. Il me faut cependant bientôt mourir, je serai absent du nouveau paysage, les alignements ont été tracés par des hommes promenant leurs trépieds. D’autres viendront avec leurs tronçonneuses pour s’attaquer à mes branches, à mon tronc.
On arrachera dans des mâchoires de fer jusqu’à ma souche, énorme, vaste, étendant mes racines plus loin encore que l’ombre portée au sol lorsque le soleil tourne au dessus de moi. Sous le fracas de leurs machines disparaîtra la mémoire diffuse et fragile qu’elle vient chercher près de moi depuis si longtemps, mémoire d’un autre fracas, effacé, fracas des détonations, des cris, de la révolte interrompus, de l’écrasant silence des corps à terre, sang éperdu, vies qui s’écoulent sur les feuilles et les pierres.

Dans une gerbe de mois, pourfendant de bruit et d’éclairs les futaies traversées et les collines, des centaines de voyageurs fileront sur une voie ferrée, d’un point quelconque à un autre point quelconque, ignorants des drames qui ont ici étreint la terre, fuyant ou repoussant l’infini silence.
Car voici qu’arrive le train ivre de vitesse, déchirant le paysage et la mémoire, dispersant mes paroles murmurées, silence fracassé, folie des hommes…

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Je suis un cadavre qui regarde le ciel

Je suis un cadavre qui regarde le ciel. Il est beau. Il est vide. On m’avait dit qu’il était plein de délices et que ces délices étaient offerts à ceux qui étaient morts après une bonne vie. Que d’autres que j’avais connus  ou pas m’y attendaient, qu’il y avait un dieu. Je n’y croyais qu’à moitié, mais j’y croyais quand même, parce que j’espérais. Je m’étais un peu préparé. Pas assez sans doute. Il n’y a rien. Je ne vois rien. C’est beau, ce ciel vide, si grand, si vide.

On ne m’a pas fermé les yeux, les autres n’ont pas vu que j’étais mort. Ils ont peut-être réussi à s’en tirer. S’en tirer, c’est-à-dire ne pas se faire tirer dessus. J’ai tiré moi aussi. C’est ce qu’on nous demandait de faire. Mais je ne m’en suis pas tiré. Moi non. Me voilà les yeux ouverts à regarder le ciel. Il est immense et vide. J’aurais aimé qu’il y ait de la musique. Sublime. Non. Tout est calme. Silencieux.  Je n’entends rien. Vraiment rien. C’est peut-être comme ça, le néant. Alors, le néant, c’est tranquille.

Heureusement que je suis tombé ainsi, à regarder le ciel. Si j’avais été atteint autrement, si j’avais embrassé la terre dans ma chute, le nez écrasé entre les mottes, les pommettes et le menton heurtés par les cailloux, avec du sang peut-être sur le visage, même les yeux ouverts, je n’aurais rien pu voir, ni les herbes rares, ni les grillons, ni les fourmis qui seraient venues parcourir mes doigts. Tiens, c’est vrai, il y en a toujours, des fourmis, quand on reste immobile longtemps couché par terre. On les voit sur les doigts et on les sent dedans. Je ne les sens pas.

Bien sûr, je suis un cadavre, mes yeux de vivant n’y voient plus, mes oreilles de vivant n’entendent plus. Mes mains n’ont plus rien à me dire. Tout cela est mort et m’empêche de percevoir ce qui m’entoure comme avant. Ce n’était pas très beau ce qui m’entoure. Ça ne peut pas être beau un endroit où les hommes et leurs engins et leurs armes se battent depuis des mois et des mois. Il y en a pourtant qui aiment des paysages dévastés comme ceux-là. Ils s’y sentent bien. Ils y éprouvent de l’ivresse. Pas moi.

Mais, si plus rien ne m’arrive de tout cela, si le ciel est grand et vide, je me sens encore dedans ou autour quelque chose qui existe, il me semble que je peux voir et entendre, sentir, d’une autre façon qu’avant. Peut-être mon âme, ce qu’on appelle ainsi, est-elle entre deux états, pas encore partie vraiment de mon corps mort, ou proche encore, rôdant, allant et revenant, ne se séparant qu’à regret ? Parce que je suis mort très vite, très jeune, qu’elle pensait ne pas partir déjà de ce corps pas abîmé du tout, qui pouvait presque grandir un peu encore?

Il y en a, surtout des scientifiques, parfois des philosophes, et d’autres, qui disent qu’on n’a pas d’âme, que l’âme n’existe pas. Ce serait dommage, maintenant que je suis comme ça. Je préfère qu’il y en ait une pour que je pense encore.

Voilà, sous ce beau ciel vide, je suis un jeune cadavre, un cadavre de jeune, tué de ce matin à l’aube. Les risques du métier, normal. Quand on est soldat, il faut s’attendre à ne pas le rester, à devenir mort, plus rapidement que d’autres qui ont un métier moins dangereux. Je n’avais trouvé que celui-là, je n’étais pas bon à l’école. On ne m’avait proposé que ça. Il y avait de la place. Je suis parti avec des idées assez jolies qu’on m’avait données. Se dévouer pour les autres, devenir un homme, rendre la famille fière de moi, savoir que les fiancées étaient plus faciles à trouver quand on revenait…

Avant de partir j’en avais très envie. Je n’en avais pas eu encore. Trop jeune. Maintenant je ne reviens pas. Je ne saurai jamais ce que c’est une fiancée quand on est vivant. Pas non plus quand on est mort, aucune ne m’attendait dans ce ciel tout vide. Je n’en souffre pas. Même si j’espérais. C’est tout naturel de ne pas souffrir, on le disait toujours, les morts ne souffrent plus.

C’est  vrai. Je me sens calme, paisible, comme je ne l’ai jamais été. Je suis bien. Pas trop chaud, pas trop froid, ni faim, ni soif, même pas mal là où la balle est entrée, ni ailleurs. C’est allé très vite. Tout juste si j’ai eu le temps de comprendre ce qui m’arrivait, d’appeler ma mère aussi. C’est bête, je savais bien qu’elle ne pouvait pas venir.

Absurde tout ça. Certains pensent, disent, écrivent, que tout cela est absurde. Même des jeunes trouvent ça et font des groupes parce qu’ils veulent que ça change. Moi, je n’y réfléchissais pas, je ne savais pas très bien ce que signifie absurde, je ne savais pas très bien vivre, des morts ici, des morts en face, ça me paraissait inévitable, habituel. Et depuis que j’étais soldat, j’allais où on me disait d’aller, je faisais ce qu’on me disait de faire. Je ne réfléchissais pas.

Maintenant je peux réfléchir. J’ai tout mon temps et rien d’autre à faire. Maintenant je peux me demander ce que c’est, absurde, et si c’est absurde, tout ça, pour les autres et pour moi. Je ne me le demande pas. Je flotte dans l’absence de besoins, de désirs. Maintenant, je suis un cadavre qui regarde le ciel, tout grand, tout vide, tout beau, le temps doit passer, comme avant, je ne le compte pas, je peux rester ainsi sans ennui pour l’éternité, cela ne me gêne pas, les choses sont devenues simples. Il n’y a peut-être plus de choses. Si, pour les autres. Et pour que j’aie encore une âme. Mais elles sont simples, les choses, totalement simples.

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Grave nouvelle, il ne se passe rien

Grave nouvelle, il ne se passe rien.

Rien. Ce pendant que son cœur attend. Rien. Son cœur bat. Bat. Bat. Attend. Il ne se passe rien. C’est douloureux un cœur qui bat, qui bat d’attendre.

Parfois le ciel est bleu, rien, parfois gris, la pluie tombe, il ne se passe rien. Bat, ce cœur, rien, et d’attendre, il a mal. D’avoir mal, passe, passe le temps, rien ne se passe, passe le temps, vieillit le cœur, rien, rien, attend, vieillit le cœur, encore.

Parfois gai, parfois triste, le soleil apparaît, disparaît, rien. Le cœur bat. Et tournent les visages, bougent les mains, se croisent des regards, des jambes, des chemins. Rien.  Il ne se passe rien.
Le cœur bat, rien, pas de caresse sur une joue, sur une épaule, auprès du cœur, rien, le cœur vieillit. S’enchaînent les saisons, rien, roux l’automne, et doux l’hiver, ou rigoureux, rien, printemps pluvieux, été caniculaire, ou pas d’été, plus de saison, pas comme avant, rien, les ans défilent, les ans s’empilent par-dessus les saisons, rien, le cœur vieillit, il bat, il ne se passe rien, rien ça fait mal

Dans le panier, les courses, et puis dans le placard, et puis dans l’estomac, et puis ça recommence. Rien, et bat le cœur, vieillit le cœur.  D’attendre, et rien. Encore ménage, encore, voyages, encore vacances, occupations professionnelles, occupations professionnelles, et sorties culturelles, sorties, culturelles, avec, parmi, auprès, encore, rien.

Il ne se passe rien. Les oiseaux couvent, piquent les fruits, picorent les grains, s’emparent d’insectes, de petits mammifères, de poissons, prédateurs craints ou recherchés, rien, les oiseaux vivent, les oiseaux meurent. Il ne se passe rien. Les grands vols migrateurs vont au-dessus des têtes, dans un sens, dans l’autre, loin, ici, loin, près des nuages, avec les vents, et vont les vents, vont dans un sens, et vont dans l’autre, encore, et encore, rien, il ne se passe rien, le cœur bat et vieillit, le cœur vieillit et bat.

Rien. Les souris dansent et ronronnent les chats. Murmure et fuit l’eau de la source. Rien. Musiques, paroles, rumeurs, bruits, discours, cinémas, rien, bat le cœur, le cœur bat, enfle le ventre et se dégonfle, souffre et soupire. Rien, rien pour que palpite la gorge, pour que la peau frémisse, rien, pas de chaud sur le ventre, pas de sourire au cœur, le cœur bat. Tremble la terre, ici et là, se tuent les hommes, ou disparaissent, emportés par les vagues, les virus ou le feu, minés par les poisons, déchiquetés, bombes ou machines, ensevelis, brûlés, oubliés, rien.

Se tuent les hommes ou se laissent tuer, passe le temps, le temps, aboient les chiens, passent les caravanes, passent, il ne se passe rien, le cœur bat, rien.

Vieillit le cœur. Coulent l’alcool, les larmes et les fleuves, avancent et reculent les langues de la mer, lèchent les sables. Murmurent et grondent les marées. Rien. Pas de baisers au creux du bras, pas de baisers dans le cou, de mots doux à l’oreille, rien, le cœur vieillit.

Le cœur bat. Rien. Fument et crachent les volcans. S’agitent les tempêtes, et les ouragans courent. Dévastent les tornades. Eclatent les orages, ronflent les incendies. Rien. Roulent les avalanches, neige, boue, s’ouvrent les failles, les océans rugissent, et s’engloutissent les paquebots, se brisent les montagnes, les verres, les immeubles, les cœurs, le cœur, rien, la voix, rien.

Le cœur, alors, alors, le cœur, rien, il ne se passe rien. Alors explose le cœur vieilli, hurle la bouche et les poumons éclatent, là, tout près du cœur, du cœur qui bat, qui bat encore, qui bat, bat, pas de main sur la main, hurle la bouche, pas d’oreille attentive, peur de la mort, peur, froid, froid dans les pieds, peur, froid dans le ventre, rien, froid dans le ventre et dans le dos, peur, rien, pas de main sur la main, pas de main sur le front, pas d’humain près du cœur, le cœur bat, bat, bat encore, bat, cœur se brise, voix se brise, souffle éteint, rien, il ne se passe rien, il a cessé de battre, cœur, il a cessé d’attendre, rien. Il ne se passe rien. Les oiseaux vivent, les oiseaux meurent, les grands vols migrateurs vont au-dessus des têtes, et vont les vents, encore, encore, le cœur est mort, la pluie emporte les images.

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Prochains salons avec signatures de Fait noir

Après les trois salons de l’automne voici les prochains qui s’annoncent. J’y serai avec mon roman Fait noir, parfois en compagnie d’un ou de plusieurs auteurs de La Cheminante, « ma » maison d’édition pour ce livre. Le salon du livre de Paris et celui de Thénac près de Saintes en mars, un petit tour à l’Escale du livre à Bordeaux, 31 mars ou 1er avril, salon de Château d’Oléron en avril, de Jarnac en mai, de Beautiran en juin. Les concerts des « Festes baroques en terre de Graves et du Sauternais » auront commencé, mais ils ne sont pas aux mêmes heures…. On peut tout faire mais quel dommage que le temps ne soit pas élastique…

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Nouvelle année, 2012

Voeux 2012 charrette à cheval des Roms dans la circulation autommobile

Pitesti Monasti 745 Voeux 2012

Après un passage éclair en Roumanie, je m’offre un tout aussi bref moment de travail d’image avec quelques traces rapportées de Pitesti et de Bucarest. Mes meilleurs voeux à tous !

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Fait noir au salon de « l’Autre livre », à Paris, 18, 19, 20 novembre

Mon roman Fait noir poursuit son cheminement à la rencontre des lecteurs. C’est une aventure souvent très riche. J’ai beaucoup aimé les trois derniers salons, les découvertes, les amitiés qui se nouent, un univers différent, souvent éphémère, mais passionnant. Car, bien sûr, je suis derrière le stand où les piles de livres font une place aux piles de Fait noir. Ce sera le cas prochainement, au salon de « l’Autre livre », à Paris, les 18, 19 et 20 novembre, à la halle des Blancs Manteaux, au coeur du Marais.

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