Salon du livre de Paris, 2012, Porte de Versailles

Quelques lignes changées et voici le jumeau de l’Escale du livre de Bordeaux, mais pour le salon du livre de Paris. Pour plus d’information, on peut aussi consulter les sites de ces événements.

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Escale du livre, Bordeaux

Le « flyer » est prêt pour l’Escale du livre, à Bordeaux, je vais l’adapter au plus vite pour le salon de Paris, il arrivera un peu tard, tant pis, mais il avertira au moins quelques personnes de plus ? Et ainsi la Garonne se promène encore plus sur la toile…

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Le nom prêté

Le nom prêté p15 Ils m’appelaient Grouille, les autres, là-bas. Parce qu’ils trouvaient que je ne me pressais jamais de faire ce qu’ils disaient. Pourtant je me dépêchais, je préférais éviter les coups, quand c’était possible. Les plus jeunes, eux, ils m’appelaient Trisse, comme si ça pouvait m’aider, m’encourager, et ça les faisait rire, comme nom. Je peux dire que je m’appelle Driss, si on me demande, c’est presque pareil, et ça existe, il y en avait un à l’école qui s’appelait comme ça. Lui, il a bien voulu devenir un fils du dieu des prêtres, que ce dieu soit son père et qu’il ne le voie jamais, alors on l’a changé de nom, on lui a donné Athanase, il avait l’air content, il est peut-être resté. Moi, je peux prendre Driss puisqu’il ne l’a plus, ce nom. Mais ça ne me donne pas de nom de famille. Quand on est sur la terre mais qu’on n’a pas de terre, pas de pays, pas de famille, alors on n’a pas de nom de famille. Tout le monde doit pouvoir comprendre ça. Il n’y a pas de solution.

Ce qui est le plus grave, d’ailleurs, ce n’est pas de ne pas avoir de famille, pas de pays, pas de terre, non, ce qui est grave, on m’a prévenu, c’est de ne pas avoir de papiers. Parce qu’on ne peut pas savoir ce qui est vrai dans ce qu’on répond aux questions. Et ils veulent tout savoir de ceux qui arrivent d’ailleurs. Ne pas savoir leur fait peur. Si je dis Driss, ils peuvent me croire, et pourtant ce n’est pas vrai, mais qu’est-ce que ça fait, puisque ça me va, que je n’en prive personne, et que je n’en ai pas d’autre ? Pour l’âge, c’est pareil. Je peux dire treize ou quatorze, je peux dire seize ou dix-sept, je ne sais pas encore ce qui est le mieux, mais de toute façon, je n’en sais rien, c’est ça qui est le plus vrai. Qu’est-ce que ça peut faire ? On ne peut pas me couper en rondelles comme un arbre pour compter les cercles. Il paraît que ça donne l’âge de l’arbre. Pour les hommes je ne pense pas que ce soit la bonne méthode, évidemment, et si c’est pour être mort avec les os en tranches, je préfère qu’on se passe de mon âge, qu’on se passe de savoir si je suis grand ou petit pour mon âge, qu’on reste dans le doute, comme moi. Mais ça n’a pas d’importance ce que je préfère, parce que pour les gens d’ici comme pour ceux de là-bas ce que je préfère ça ne compte pas.

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L’école des prêtres

L’école des prêtres p 11-12 Dans mon pays, enfin, dans le pays d’où j’arrive, parce que, dire que c’est le mien… sans parents, sans nom, sans papiers, ça fait rire de dire mon pays, ma terre… Dans ce pays, un prêtre m’avait pris pour me mettre dans son école. Il disait qu’il y avait toujours quelque chose de bon dans la vie. Il disait que l’école, ça remplaçait la famille que je n’avais pas. Au début, j’aimais bien. J’apprenais des choses, et je mangeais, au moins un repas, parfois deux. Mais au bout d’un temps, ça m’a gêné de devoir lui dire merci, de dire merci pour les repas, merci pour le lit, pour le cahier, le crayon, pour « Joseph », le nom qu’on m’avait prêté. Et puis être en même temps que les autres en train d’écrire ou de chanter, c’était trop, ça m’a gêné, je suis reparti. Quand j’ai eu faim et que les grands avec qui j’ai dormi m’ont battu, parce qu’ils battaient les petits, j’ai regretté. Tant pis. Je n’osais pas y retourner, je suis resté avec les autres. J’ai grandi avec eux, comme eux.

Ce prêtre qui m’avait pris dans son école, il disait ça, que sur terre, il y avait toujours quelque chose de bon dans la vie. Et que quand tout est très difficile, ça rend plus fort. Pour lui, la terre, c’était pour les hommes, et le ciel pour Dieu. C’était drôle que la mer fasse partie de la terre et pas le ciel. Il disait que la terre était à tout le monde, aux pauvres comme aux riches, mais que les pauvres seraient plus riches que les riches quand ils seraient dans le « royaume des cieux », ailleurs que sur terre. Les cieux, c’est le ciel au pluriel, pourtant il n’y avait qu’un dieu. Il voulait aussi que son dieu soit mon père, mais je n’ai pas accepté. J’aurais aimé un père qu’on peut voir. Celui-là n’était pas sur terre, on ne pouvait que lui parler, et il fallait savoir comment s’y prendre pour qu’il réponde. Et comprendre la réponse. Ce n’était ni un dieu ni un père. Je n’en avais pas besoin. Mais ce qu’il m’a dit, le prêtre, ce qu’il disait aux autres, que ça rend fort quand tout est difficile, je n’ai pas oublié. Il doit y en avoir beaucoup de forts, des jeunes comme moi, parce que c’est dur, la vie. Mais je vais peut-être me débrouiller, maintenant que je suis là, et sans les autres de là-bas. Ça va changer, c’est sûr. Devenir plus difficile ? Je deviendrai plus fort.

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Maison des Ecrivains et de la Littérature

C’est en cours : mon adhésion à la Maison des Écrivains et de la Littérature sera effective dans quelques jours, grâce à  mon roman Fait noir. Le temps de mettre en page et en ligne les quelques éléments de bio et de biblio demandés, assortis d’une photo et, par voie postale, du chèque d’inscription. Cela m’ouvre l’accès à ce bel endroit, à Paris, où livres, conseils et services seront à ma disposition. Et cela me plait d’enclencher le processus un 8 mars, même si cette journée ne lève pas la discrimination homme/femme à tous les niveaux.

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Musique baroque

« Les Festes baroques en Terre de Graves et du Sauternais » proposent deux concerts en mars, pour ceux qui auraient la chance d’être dans cette belle région du Sud Ouest, à Bordeaux ou tout près, en Gironde. Le 23 mars, à 20h30 à l’église Saint Martin, à Léognan, le 24 à la basilique Saint Seurin,, à Bordeaux. Oeuvres de Fr. Couperin et de J. Valette de Montigny. Si vous aimez (moi j’aime, au point de faire partie de l’association), vous pouvez vous promener et trouver d’autres informations sur le site des Festes baroques . Et la saison ne fait que commencer…

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Salons, signatures, Fait noir poursuit sa route

Fait noir revient à Paris, au salon du livre, Porte de Versailles, du 16 au 19 mars. Et si ce n’est mon roman, ce salon drainera bien tout le 75, l’Ile de France et autres lieux ? Mon livre sera ensuite, avec moi bien sûr, à Saintes, Charente maritime, au lycée Bernard Palissy, le 23 mars, pour une rencontre avec des élèves. Puis, les 24 et 25 mars, à Thénac, 17, tout près de Saintes, au 5ème salon artistique et littéraire organisé par « L’Écriture prend le large« . Enfin, les 30, 31 mars et 1er avril, L’Escale du livre déploie sa 10ème édition, à Bordeaux, 33, en Gironde, au bord de la Garonne. J’y serai, et en particulier le 31 mars, avec Amadou Idé et Sylvie Darreau notre éditrice, lors d’une table ronde autour de : « Regards littéraires sur le politique, vu du Niger et de Castres en Gironde ».

Le mois d’avril me laissera quelques semaines pour écrire dans mes retraites campagnardes, à l’abri des sollicitations citadines. La fin du mois nous verra à nouveau, Fait noir et moi, en Charente maritime, à Château d’Oléron, 17, pour le salon « Cita’Livres« , les 28 et 29 avril, à la citadelle de Château d’Oléron.

Le 12 mai, je serai à Jarnac, 16, Charente, et le 23 juin à Beautiran, 33, en Gironde. Je vous en reparlerai, c’est encore un peu loin. Mais d’autres événements auront lieu en juin qui requerront mon attention et ma présence, et m’apporteront de grandes émotions musicales. C’est le festival de « Musique baroque en Terre de Graves et du Sauternais« , www.festesbaroques.com  je vous le recommande vivement, si vous aimez cette musique, et les vins de la région…

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Les Perles de liberté

Le rocher l’avala. C’était l’aube. Sur la lande, rien que le vent et le sifflement des herbes maigres obligées de se coucher cent fois et de cent fois se redresser pour plier à nouveau. Le rocher bleu, immobile, laissa passer le jour. Vinrent le crépuscule, peuplé d’ombres, la nuit, habitée de lueurs et de voix. Vint l’épais silence, bref, intense, qui précède le grand réveil des oiseaux avant l’apparition de la lumière. Ce fut l’aube à nouveau, et le saignement diffus de l’horizon sur le gris des nuages.
Lorsque l’homme, enfin, ou plutôt le manteau sombre qui semblait envelopper une forme humaine, émergea des entrailles de la terre et du roc, une bruine froide éteignait les bruits et troublait la vue sur les environs désolés.
Personne pour voir l’étrange silhouette parcourir des chemins où nul pas d’homme n’avait marqué sa trace répétée. Après quelques allées et venues entre le rocher et la mer heurtant les récifs de sa respiration écumeuse, le personnage s’accroupit sans souci de l’eau fine déposée sur chaque surface offerte, herbes, cailloux, terre et manteau. Il resta là, longtemps, tournant vers le large ce qui pouvait être son visage, tache claire ombrée d’un capuchon.
Il fut droit, soudain, debout, bras levé, agitant lentement la main. Une voile grandissait d’instant en instant, approchant du rivage hérissé une étroite coque couleur d’algues sèches. Un homme à bord balançait un fanal comme un patient maître de musique battant la mesure à trois temps. Un matelot, sans doute, réduisit la voile, le bateau fut maintenu, dérivant à peine, à distance du danger. Les mouvements de la main et du fanal se répondirent en un curieux dialogue étouffé. Puis la main fut baissée, le fanal aveuglé, la voile hissée vira de bord et s’éloigna. Une mouette égarée sous la pluie lança sa plainte aigre et suivit de son vol négligent l’embarcation disparaissant peu à peu.
Le manteau s’en revint à grands pas, s’accota au rocher pour un long moment, puis disparut, comme avalé, le temps d’un soupir. La lande ondulait, humide et frissonnante, en ce tout début de saison triste. Une fumée monta d’on ne sait où, près du rocher. Quelqu’un vivait donc en dessous de la terre, et allumait du feu en son logis sans fenêtre ? Quelles nourritures pouvait-on cuire et absorber dans ces profondeurs abritées du monde ?

…Elle n’avait pas de nom. Et la mer pour origine. Il l’avait appelée Ael, comme le ciel infini que ses yeux gris de nouveau-né cherchaient à lire lorsqu’il l’avait trouvée. Enroulée dans une couverture humide, calée dans son creux de rocher, elle recevait, à peine étonnée, quelques gifles du ressac brisant sa colère en contrebas, sa langue minuscule tétait maladroitement le sel déposé sur ses lèvres.
Partout, autour, tout près ou plus loin, des éclats de bois, restes de mâts, filins rompus, coques éventrées, et, sans doute, il le découvrirait plus tard, les habituels corps affaissés, noyés sans regard, accrochés à un récif, bras ou pieds ballants secoués par les vagues. Il avait bien pensé à s’éloigner sans se faire voir, à reprendre sa quête, qu’il se refusait à nommer pillage, il fallait dire « droit de bris », laissant le hasard s’occuper de cette trouvaille inhabituelle et fort peu lucrative apportée par la tempête.
Mais son regard avait croisé le regard de l’enfant et à l’instant il fut pris au piège de cette immensité, il ne put que s’avancer, subjugué, incapable de s’arracher à ces yeux pleins de ciel. Il avait soulevé dans ses grandes mains ce paquet tiède et léger et, sans comprendre ce qui lui arrivait, l’avait protégé de sa cape et emporté dans son antre, trésor plus précieux que ce qu’il avait jamais pu récolter même après de mémorables tempêtes, et avec l’aide parfois de quelques feux allumés aux bons endroits, comme cela s’était toujours pratiqué sur cette côte plus hérissée d’écueils et de naufrageurs que de criques accueillantes et de villages chaleureux.
C’était il y avait combien d’années, déjà ? Six ? Sept ? Huit ?
Sa vie avait alors basculé vers des soucis et des joies inimaginables pour lui une heure avant… Et tout d’abord apprendre à nourrir cette petite bouche avide cherchant le sein. Son doigt d’homme avait fait illusion une minute, le laissant ému comme il ne pensait pas pouvoir l’être… Mais il fallait trouver de quoi tarir les pleurs qui avaient suivi, étancher la soif qui mettait en rage ce petit corps fragile ! L’eau salée avait offert un court répit. Il avait pensé aussi à enduire son doigt du miel prélevé l’été dernier dans l’arbre couché derrière le rocher. Cela ne suffisait pas… Il se souvint d’une vieille qui vendait parfois le lait de sa chèvre et un peu de fromage quelques lieues plus loin. La chèvre et la vieille partageaient le même abri sommaire, quatre murs percés d’une porte et d’une fenêtre obscure, le tout sur un bout de jardin enclos de haies vives, à l’écart du village. Il devait partir tout de suite en quérir. Mais quelle explication lui donner ? Et avec quelle monnaie la payer ? Impossible de lui proposer un bijou pour du lait ! Et pouvait-il laisser son trésor seul et hurlant ? Que faire d’autre ? Ne pas réfléchir, se mettre en route immédiatement, il trouverait en chemin comment s’arranger avec la vieille. Passée la haie, il sut qu’il n’y aurait point de négociation difficile. La chèvre attachée à son pieu devant la bicoque semblait hors d’elle et affamée, le pis gonflé traînant à terre. Il franchit le seuil, la vieille était assise, bras et tête posés sur la table, comme endormie, mais d’un dernier sommeil, morte, froide, il ne savait depuis quand. Il détacha la chèvre, la tira derrière lui jusqu’à l’entrée de son antre, l’attacha à un trou du rocher et lui présenta l’enfant hurlant qui se calma dès que la petite bouche fut au contact du pis douloureux.
Dans l’apaisement qui suivit, il fut heureux d’avoir conservé toutes ces années le peu de linge possédé par sa mère. Il dégagea précautionneusement le petit corps confiant de sa couverture humide et de ses langes mouillés et l’enroula dans des serviettes sèches. C’était une fille. C’était la même évidence que si cela avait été un garçon. Il lui devait tout désormais. Dans les deux sens qu’il pouvait donner à ce mot. Tout. Il tenta de lui dire ce qu’il lui devait et se sentit idiot. Mais elle se saisit de son doigt et il sut qu’elle avait dû comprendre.

Une sorte de bonheur extravagant l’envahit alors avec la nouvelle vie qui éclairait la grotte. L’enfant prenait toute la place, était le centre de toute action, à toute heure du jour et de la nuit. La chèvre et lui gravitaient autour de cet aimant précieux.
Puis les jours, les mois avaient passé.
Pourquoi cela lui revenait-il brusquement, ainsi, par vagues, alors qu’il y avait si longtemps ?
Il avait bien fallu s’organiser, ne pas se contenter de ces provendes aléatoires apportées par les naufrages de plus en plus rares et de plus en plus difficiles à exploiter. Sa profonde insouciance du quotidien ne convenait pas à sa nouvelle charge. Il se remémora ce que faisait sa mère dans la maison, cuire, laver, coudre, approvisionner, ranger, réparer… Serait-il à la hauteur ?

Il avait dû, d’abord, se remettre à parler. On perdait l’usage de la parole à vivre en sauvage comme cela avait été son goût jusqu’à l’arrivée de cette petite merveille qui avait tout bouleversé.
Mais un enfant doit apprendre à parler, et pour cela il lui faut au moins un soutien, un modèle, un interlocuteur. Le peu qu’il avait appris, jeune garçon, du curé du village lui était revenu en mémoire. Il avait fouillé dans ses coffres à la recherche d’un livre possible à lire pour lui. Pendant des après-midi entiers, lorsque le jour du dehors entrait suffisamment par la fissure de son gîte, il avait ânonné, déchiffré, puis lu avec de plus en plus d’aisance, et sa voix s’était affermie jusqu’à pouvoir moduler les nuances que requéraient les phrases du livre. Il s’était pris au jeu, avait ouvert d’autres livres enfermés là depuis qu’il les avait trouvés dans des malles sauvées de quelques navires désertés à la hâte, juste échoués, pas encore totalement éventrés et engloutis sous les coups de la houle. Il lisait, lisait. L’enfant semblait prendre plaisir à l’entendre et gazouillait en le regardant.
La chèvre risquait de se tarir avec le temps, il avait cherché qui possédait un petit troupeau et y avait conduit nuitamment sa chèvre pour que le bouc s’y intéresse au petit matin. Il l’avait ramenée discrètement avant la première traite du jour, espérant qu’elle mettrait bientôt bas un ou deux chevreaux qui partageraient le pis de leur mère avec leur sœur de lait. Ce serait le début d’un troupeau, s’il le voulait. On verrait bien.
Tout s’était produit comme il l’attendait, à croire qu’il était protégé par le sort, lui, ou l’enfant. Peu importait. Mais il y avait trouvé du réconfort dans l’inquiétude qui l’envahissait parfois à l’idée que, pour des années et des années, il se trouvait responsable de la vie de sa merveille, de son trésor, de son trésor caché.
Tout cela défilait dans sa tête, pendant qu’il veillait sur elle, endormie près de lui. Qu’elle était belle ! Et grande déjà !

Peu à peu, son babil s’était fait langage. Elle utilisait les mots des livres qu’il lui lisait. Lui parlait aussi avec des mots qu’il n’avait pas encore lorsqu’il était petit plongeur pour le patron de l’auberge. Que tout cela semblait loin… Et si proche en même temps… Il l’habillait d’un tricot de sa mère serré autour d’elle par un cordon de tablier. Elle trottinait jambes nues sur le sable qu’il apportait chaque jour dans son antre. Il ajoutait un peu de cendre avant de balayer le tout, le soir, et de le renouveler. Il sortait un seau de sable sale et le remplaçait par un seau de sable neuf, en trois ou quatre allers-retours, ils avaient un sol frais et doux, sentant les vagues.
Elle voulut savoir un jour quel était son nom, à lui, comment elle pouvait l’appeler. Il réfléchit à cela, gravement. Il avait eu un nom, bien sûr, quand il avait une mère et qu’il jouait encore avec les garnements de son âge. Mais depuis qu’il s’était isolé, personne n’utilisait plus ce nom, personne ne l’appelait, même lorsque, si rarement, il se risquait jusqu’au village pour signaler son existence, faire un peu de troc, un achat ou un autre, un peu de sel, un briquet… Les anciens étaient morts, on ne vivait guère longtemps dans ce village. Il avait entendu cependant des enfants dire sur son passage qu’il y avait des mois qu’ils n’avaient pas vu le vieux fou. C’était donc ainsi qu’on le désignait là-bas ?
Elle ne le trouvait pas vieux. Lui non plus. Il ne se trouvait pas vieux. Il ne savait plus son âge. Elle demanda ce que c’était un fou. Elle ne le trouvait pas fou. Lui non plus. Ni fou, ni sage, bien où il était, comme il voulait. Elle l’appela Pafou et cela lui fut très doux.

Lorsqu’il déplaçait le piquet de la chèvre pour qu’elle trouve à se nourrir, il revenait souvent sur ce coin de pré finissant en chiendent sur le sable entre les rochers.
Cet endroit lui rappelait chaque fois son enfance. Non, certes, il n’était pas vieux, mais auprès elle, il avait presque oublié qu’il avait été un petit garçon insouciant. Oui, il avait passé là de longues heures comme il le faisait encore à regarder les vagues déferler et se briser sur les écueils. Là il avait couru les pieds dans le sable et le sel, criant au vent qu’il irait plus vite et plus loin que lui. Là il avait lutté contre d’autres garçons du village dans des jeux plus ou moins guerriers qui les laissaient rouges et déchirés à la merci de leurs mères grondantes, furieuses d’avoir à rapetasser à nouveau pour des galopins sans souci de leur travail. Là il avait pataugé, cherché sous l’eau ce que mangeaient les poissons, découvert un jour que l’eau pouvait le porter comme elle faisait de ces mêmes poissons. Comment il avait appris à nager, à plonger, il ne savait plus, il pensait avoir toujours su. Il était si à l’aise dans l’eau, après cette découverte, qu’il se prenait pour un poisson et jouait à rester le plus longtemps possible porté par les vagues, louvoyant avec sûreté entre les rochers aigus. Là où les autres sortaient couverts de bleus et d’écorchures, quand ce n’était pas pire, lui s’ébrouait, heureux et fier, sans la moindre éraflure.

Ses grandes capacités de plongeur l’avaient fait remarquer du patron de l’auberge, un homme puissant pour l’endroit, qui tirait de confortables revenus d’activités moins affichées que les bénéfices des chambres et repas offerts sous son enseigne. Cet homme était devenu puissant parce qu’il avait compris que les simples récoltes d’après tempêtes (et bien sûr, personne au village, lui pas plus que les autres, ne se vantait publiquement du rôle de naufrageur que tous ou presque assuraient à un moment ou un autre), que les simples récoltes, donc, représentaient une broutille par rapport à ce que la mer gardait pour elle. Il avait eu l’idée d’embaucher de jeunes garçons hardis et sachant nager. Il y en avait peu. Il les faisait plonger sous sa surveillance sans faille, se faisait donner ce qu’ils remontaient, les payant en fonction de la valeur estimée, par lui-même bien sûr, des objets repêchés.
Le plus vaillant et débrouillard de ces garçons hardis, c’était lui, fils d’une veuve, ne connaissant pas son père, lui, l’enfant de douze ans déjà contraint, comme tant d’autres, de gagner son pain. Il avait vite été choisi comme plongeur quotidien et n’avait plus craint la faim pour sa mère et lui. Il enrichissait son maître en fouillant les épaves récentes ou plus anciennes restées proches du rivage, accessibles car échouées en hauts fonds.
C’est au cours d’une de ces équipées, toujours sous surveillance de son patron âpre au gain, qu’un jour il avait trouvé, sous des rochers battus par les marées, un passage conduisant à une petite grotte abritée ayant, semblait-il, comme seul accès ce passage sous l’eau.
Il était remonté très tard, penaud, ne rapportant qu’une vague poterie sans grand intérêt, racontant qu’il s’était retrouvé coincé sous une caisse qui avait basculé quand il avait tenté de l’ouvrir. Il avait préféré garder pour lui sa découverte, bien décidé à y retourner quand il pourrait être seul. Il dut attendre presque une année que son maître tombât malade et dût s’aliter. Il ne rata pas cette si belle occasion.
Il plongea, enfin libre, comme lorsqu’il jouait au poisson, petit. Il explora sa grotte, se demandant d’où venait l’air, trouva vite un boyau dans la roche où le vent sifflait doucement comme atténué par bien des étranglements. Hardi, il l’était encore. Téméraire peut-être même. Il s’engagea sans réfléchir plus avant dans le boyau et progressa en se frottant aux aspérités qui le rassuraient comme si elles pouvaient le retenir en cas de chute. Il parvint à une deuxième grotte, mais éclairée faiblement, celle-ci, par une fissure latérale. Il explora l’endroit dans ses moindres recoins, ne le trouvant habité que de quelques insectes qu’il n’avait jamais rencontrés. Il se dit qu’à part ces derniers il était sans doute le premier à être entré jusque là. Il voulut savoir s’il devrait parcourir le chemin inverse dans le boyau pour ressortir par la mer ou si une route terrestre lui permettrait de regagner à pied sec la chaumière où il vivait avec sa mère. Il entreprit donc de grimper jusqu’à la fissure qui lui apportait la lueur du jour déjà bien avancé. Une anfractuosité à mi-hauteur de la paroi l’intrigua et sans monter plus haut il glissa son corps agile dans ce trou de terre et de pierres, creusé du temps des ancêtres par quelque rivière souterraine disparue depuis. Il savait que de tels évènements se produisaient parfois au cours des siècles. Les anciens du village racontaient des histoires pleines de choses plus étranges les unes que les autres, et si les garnements de son âge en riaient et se moquaient parfois, tout en frissonnant, lui pensait qu’il devait y avoir beaucoup de vrai dans ce qu’ils disaient.
Il ne lui fallut pas plus de quelques minutes avant de mettre le nez au soleil, derrière un énorme rocher, au milieu d’un buisson qui cachait le trou juste assez large pour le laisser s’extraire du boyau souterrain. Il s’orienta, reconnut le rocher, décida qu’il devenait seul occupant de ces grottes et de leurs entrées, qu’il y déposerait désormais la majeure partie de ses butins, que son patron le dépouillait du gain de ses efforts, comme il le faisait pour les autres petits plongeurs, et que, pour lui en tout cas, cela cessait à compter de ce jour. Bien lui en prit car il découvrit dès le lendemain une nouvelle épave, tout près de l’entrée sous-marine de ses grottes. Il engrangea « chez lui » l’essentiel de ses trouvailles, gardant de quoi contenter son maître lorsque celui-ci serait guéri, s’il guérissait. Il se vit peu à peu à la tête d’un vrai trésor, assurant, selon le mode de vie des habitants du village, sa subsistance et celle de sa mère pour de longues années encore.
Son maître ne se remit pas et mourut, la maîtresse femme qu’il avait comme épouse l’ayant soigné juste assez pour ne pas donner prise aux rumeurs. Elle restait patronne d’une auberge bien achalandée et ne se soucia pas de compléter son héritage en se mêlant d’utiliser les petits plongeurs comme le faisait son mari. Chacun devint libre de revendre son butin s’il trouvait acheteur. La compétition pouvait être dure.
Lui, désormais, plongeait par jeu, par curiosité, par goût d’enfant pauvre devant des richesses dont il pouvait se saisir et qu’il pouvait garder même s’il n’en avait plus vraiment besoin. Il ne faisait de troc ou de vente qu’à sa suffisance. Sans plus.
Lorsque sa mère mourut à son tour, il cessa de plonger, sa curiosité à l’égard des épaves amplement rassasiée. Son goût pour le spectacle de la mer, lui, demeura intact, il passa de longues journées à contempler les vagues en laissant flotter ses pensées. Peu à peu il n’entretint plus leur chaumière, fit descendre comme il put dans son antre les deux chaises, les ustensiles, les quelques vêtements lui appartenant et ceux venant de sa mère, avec deux ou trois paires de draps, torchons, serviettes, toute leur richesse, abandonna la table et le buffet qui auraient demandé un élargissement du trou et du passage préjudiciable à la discrétion qu’il voulait maintenir. Il se mit à occuper en toutes saisons ses deux cavernes, fraîches l’été, tempérées l’hiver. Il s’offrait même un peu de feu pour cuire parfois ce qu’il pêchait ou braconnait, ou juste pour se  chauffer les doigts ou le dos quand le vent jouait au blizzard. On ne le voyait plus guère en société, il ne paraissait plus jamais aux fêtes, on le traitait de solitaire et personne n’en faisait grand cas, chacun sachant dans les villages que l’on peut devenir étrange après la mort d’un proche, que c’est ainsi, qu’on n’y peut rien, que cela n’a guère d’importance.
De jeune garçon puis jeune homme qu’il avait été, il devint homme, bientôt homme sans âge, tant les quelques achats qu’il faisait bien rarement ne laissaient rien savoir de sa vie. Il ne s’en préoccupait pas, se trouvant heureux dans sa liberté de dormir ou veiller comme bon lui semblait, poursuivant presque par atavisme ses récoltes sur les rochers et les plages. Il avait peu de besoins, engrangeait le surplus, vivant dans l’instant, indifférent au souci de l’avenir qu’il avait perçu chez sa mère et chez nombre d’autres, jeunes et vieux.
Et voilà qu’il se retrouvait avec fichée au cœur cette appréhension de l’avenir, non pour lui, mais pour ce trésor inestimable que la mer lui avait confié sur un regard, et qu’il s’était engagé, sur un regard aussi, à soigner, à préserver, à faire vivre au mieux de ce qu’il pouvait imaginer.
Il se demandait pourtant s’il faisait tout ce qu’il devait. L’enfant n’avait d’existence et de nom que pour lui. Aucun registre, de baptême ou autre, ne gardait trace de son arrivée dans sa vie à lui, de sa présence secrète au village. Car enfin il n’était pas assez naïf pour croire un instant qu’on ne lui aurait pas arraché l’enfant si l’on avait connu son existence. On lui aurait dénié la capacité à s’occuper d’un enfançon, fille qui plus est. Et pourtant, qui de plus libre que lui ? Qui de plus disponible pour veiller sur les premiers pas, pour enchanter les premières promenades, les premiers jeux, les soirées près d’un feu rosissant les joues et attisant l’éclat des regards, les nuits quiètes dans leur refuge quand les vents de tempête arrachaient ailleurs les volets et fracassaient les cheminées ? Qu’auraient de mieux que lui les commères du village ? Elles auraient appris à la petite fille à tenir dès que possible son rôle de femme et de mère, chargé de tâches, de peines et de fatigues sans fin, elles l’auraient privée de courir sur la lande, pour mieux la protéger, auraient-elles prétendu…
Lui voulait lui offrir la liberté, le droit de courir sans contrainte d’un rocher à l’autre, de rêver devant l’horizon clair ou l’horizon plombé, de saisir à pleins bras le vent fuyant, de rire ou de pleurer, les joues fouettées d’embruns, il voulait lui offrir ce qu’il aimait le plus, mais soudain il doutait. Comment savoir si c’était aussi ce qu’elle aimait, ce qu’elle aimerait dans quelques années ? Ce qu’elle aimait pour le moment, il en était sûr, c’était les promenades qu’ils faisaient ensemble, elle blottie contre lui, sous le grand manteau protecteur, sa petite personne pesant peu à ses bras forts.  Ce qu’elle aimait, c’était ce qu’il lui offrait chaque jour au retour des brèves promenades qu’il faisait seul aux abords du village pour qu’on ne le croit pas disparu, que l’on ne cherche pas sur son terrain l’entrée de l’habitat hypothétique qu’on voulait bien lui supposer ! Il déposait alors devant elle, sa reine, sa princesse gazouillante, une plume, un caillou, une fleur, une poignée d’arbouses, un scarabée, un poisson aux mille miroirs d’écailles, une branche d’arbre tordue en animal, il parlait et désignait les choses, elle tendait sa main menue et tentait de répéter ses mots.
Il était sûr que le bonheur était aussi pour elle, à se sourire ainsi, à se suffire ainsi. Mais il n’était pas sûr qu’ainsi cela puisse durer. Il était même certain que cela changerait, qu’un jour elle voudrait voir le monde au delà de leurs promenades, parler à d’autres qu’à lui, apprendre ce qu’il ne savait pas, le quitter peut-être, oui, bien sûr, le quitter. Il le faudrait, elle le voudrait, il ne voulait pas y penser. Pas encore. Plus tard, beaucoup plus tard. Dans une éternité. Elle n’avait pas encore la solidité pour marcher et courir. Il la portait le plus souvent. Elle se déplaçait en roulant, en rampant quand il la posait à terre. Et elle riait. Oh, ce rire, mieux que tous les discours, que toutes les caresses…
Mais où donc divaguaient ses pensées ? Qu’il était loin le temps où elle ne marchait pas… Elle courait et sautait comme un chevreau maintenant !

Elle avait au cours de leurs promenades solitaires, derrière leurs quatre chèvres, aperçu des enfants. Elle avait posé toutes sortes de questions. Il avait bien fallu répondre. Ils avaient des pères, des mères, parfois des grands-parents, ces enfants-là. Elle, elle lui était venue tout autrement qu’eux pour leurs parents. C’était une merveilleuse histoire. Mais on ne pourrait jamais savoir ce qu’il y avait eu avant, pour elle, si peu de temps, car elle était si petite quand leurs regards s’étaient croisés pour la première fois…
Elle exprima un jour le désir d’habiter une maison, comme il lui avait dit que faisaient les autres enfants. Il fut dans un grand embarras, lui raconta la chaumière, sa mère, l’abandon des murs, de la table et du buffet, pour s’installer dans ce qu’il appelait maintenant son antre de liberté, son palais sans entraves…
Un soir au crépuscule, ils allèrent jusqu’à l’endroit où s’élevaient autrefois les quatre murs de sa chaumière. Trois étaient encore debout, le quatrième, couché dans la cour envahie de lierre, laissait voir sous une couche de fientes d’oiseaux des restes de chaume, suspendus aux chevrons emmêlés et recouvrant un buffet ouvert et une table renversée, gris de vent et de pluie, mais toujours là, comme pour témoigner de la véracité de tout ce qu’il racontait à l’enfant.
Elle demanda d’un petit ton triste à emporter un bol resté sur la pierre d’évier. Ils le lavèrent dès leur retour au gîte dans le creux de rocher qui leur gardait l’eau tiède, changée à chaque marée, et ce fut son bol. Elle y but le lait de la chèvre qu’il trayait maintenant pour elle, et pour lui, s’il y avait un surplus. Ils faisaient parfois du fromage, si le temps était à l’orage et que le lait tournait. Il lui fallait son bol pour manger le fromage. Elle y transvasait ses réserves d’écureuil, les noix et les noisettes qu’il lui cassait entre deux pierres. Elle se pourvut d’une grand-mère imaginaire… Il sentit qu’elle choisissait ses chemins…
Il ne voulait pas qu’on la lui prît. Mais si elle souhaitait un jour s’en aller, alors, il ne ferait rien pour s’y opposer. Il lui avait trop vanté la liberté, celle qu’il avait voulu pour lui, et toujours voulu pour elle, malgré la douleur de savoir qu’il la perdrait.
Elle ne cherchait pas comme lui à fuir les rencontres. Elle voulait même, en grandissant, les susciter. Il dut en passer par là. Accepter d’aller plus souvent au village, se montrer avec elle, accepter qu’on la voie. Quand on lui demandait qui était la mère, il répondait qu’elle n’avait plus de mère, depuis longtemps. Il se taisait ensuite, et personne n’insistait.
Il lisait encore pour elle, de longs moments. Mais elle avait pris goût à lui faire raconter sa vie d’avant, elle voulait des explications à toutes choses. Il peinait parfois à les lui donner. Il dut, à sa prière, lui apprendre à nager, à plonger, elle avait peut-être alors déjà cinq ans, six ans ? Elle apprit vite et joua comme lui, enfant. Elle acquit une belle sûreté d’évolution dans les récifs et s’amusa à rapporter parfois une trouvaille, un butin. Elle était fière d’aller sur ses traces d’enfant, même si lui, flatté de cette admiration, avait peur de cette hardiesse chez elle. Il lui apprenait à lire et à écrire, elle avançait vite et bien, mais cela ne lui suffisait pas. Elle s’était mis en tête de monter sur un bateau. Cela lui semblait la suite normale de ses apprentissages.
Retourner à la chaumière, tenter de la réparer, apprendre à vivre comme ceux du village semblait l’intéresser vivement. Ils y retournèrent un matin, au grand jour, et commencèrent à déblayer les débris de chaume et de bois, arracher le lierre. Ils remirent la table sur ses pieds, voulurent fermer le buffet dont les portes avaient gonflé. Un papier tomba de derrière un tiroir. Elle s’en saisit. C’était une enveloppe gondolée d’humidité sur laquelle on lisait nettement « A mon fils ». Inquiet, il la glissa dans sa poche mais elle insista pour qu’il lise tout de suite. Elle s’assit sur la table et attendit. Là, dans cette chaumière à demi écroulée de son enfance, adossé au buffet gardien de la lettre, il ouvrit l’enveloppe, déplia les feuillets et lut :

Mon fils,
Je te fais écrire cette lettre par le seul qui puisse le faire ici, celui qui t’a appris la lecture et l’écriture. J’espère que tu n’auras pas oublié et que tu sauras lire tout cela. Ce sont des réponses aux questions que tu ne m’as jamais posées. Je voulais, avant de mourir, te dire ce qu’il en était de ton père. Comme c’est long, c’est plus facile de le faire ainsi. Tu as toujours cru que j’étais veuve. Je te disais cela car c’était la vie que j’avais. Mais je n’ai jamais eu connaissance de la mort de ton père. J’espérais, en y croyant de moins en moins au fur et à mesure que les mois et les années passaient, qu’un jour il reviendrait et s’occuperait de toi, t’aiderait à devenir un homme. Il n’est pas revenu et je meurs, avant que tu sois un homme.
Il était marin. Je ne sais si sur la mer il faisait ce que font ici tous ceux du village, piller les bateaux qui se brisent. J’aurais voulu que tu puisses échapper à cette forme de subsistance. Mais je ne pouvais pas te préparer à mieux, ne sachant moi-même que cultiver un peu et tenir ma maison. Tu aurais pu aider à l’auberge, mais le patron t’a embauché pour nager et plonger, ce que tu savais si bien faire. Tu nous as ainsi procuré des années sans souci. Je t’en remercie, mon fils.
Ton père, lui aussi, savait nager et plonger. Ce n’est pas si courant, ici. Il est parti peu après ta naissance sur un grand voilier, beaucoup plus grand que celui sur lequel notre cousin est matelot. Il avait un rêve : aller vers les pays lointains, vers des îles où dans la mer chaude les huîtres font des perles énormes. Il voulait faire fortune en pêchant ces perles. Voilà. C’était son rêve. Il disait qu’il m’en donnerait une et vendrait les autres aux princes pour que nous puissions vivre sans souci, t’élever, toi, et les frères qui te seraient sans doute venus à son retour.
Personne ne m’a jamais apporté de ses nouvelles. Je n’ai, jusqu’à cette lettre, parlé de cela à quiconque, pour éviter les moqueries des voisins et pour ne pas te donner envie de partir toi aussi. Chercher la fortune, tu sembles le savoir, n’est pas forcément ce qui rend heureux. Et rêver sur place paraît te contenter. Partir à l’aventure est peut-être une envie si forte que rien ne peut aller contre, ni femme ni enfant. Je me suis beaucoup demandé si c’était pour lui un songe devenant réel, lui permettant de croire et de faire croire qu’il était responsable de sa famille, qu’il agissait au mieux. Il n’y a pas de réponse à cela. C’est difficile de ne pas savoir si le père de l’enfant qu’on élève est vivant ou mort, vois-tu, et cela m’a souvent rendue bien triste.
Ma lettre est longue, je remercie celui qui l’écrit, remercie-le toi aussi. Je te parle là plus que je ne l’ai jamais fait, parce que j’ai de l’aide et qu’après il sera trop tard.
Je te souhaite une bonne vie, honnête, heureuse, et j’espère que si tu te trouves une femme, que je ne connaîtrai pas, tu ne la laisseras pas pour un mirage.
Ta mère, qui a fait ce qu’elle a pu, et qui t’aime,
Louise.

Ils laissèrent le silence flotter entre eux, manquant de recul pour absorber tout ce que disait cette lettre.
Ce fut elle qui rompit ce silence, timidement, à voix basse. Elle avoua qu’elle avait guetté, elle aussi, dissimulée par le rocher bleu, l’homme qui s’approchait certains matins, certains soirs, en bateau. Elle ne comprenait pas quel langage s’échangeait là, ni pourquoi ils se cachaient d’elle. Il hésita, puis expliqua. Il s’agissait d’un cousin fils du cousin matelot de la lettre. Ce cousin faisait toutes sortes de commerces. Il lui rendait bien service. Il suffisait de placer, aux bonnes marées, dans la cachette qu’ils connaissaient tous deux, dans une minuscule crique abritée, une part de ses récoltes, le cousin convertissait cela en pièces d’or facilement échangeables et transportables. C’est ainsi, en vidant peu à peu ses coffres de ce qu’il repêchait depuis ses jeunes années, qu’il constituait pour elle, pour quand elle serait grande, un trésor qu’elle utiliserait comme elle l’entendrait. Le cousin y trouvait son compte. Quant à lui, à quoi lui servaient les richesses accumulées depuis l’enfance dans les deux grottes, et si peu dépensées, si ce n’est à la vêtir chaudement et à se procurer ce qu’il ne pouvait fabriquer ?
Voilà, ils vivaient comme des pauvres, avec l’infinie richesse d’être libres. Mais si plus tard elle voulait vivre autrement, même comme une dame, elle le pourrait. Elle savait maintenant. Mais elle ne devait pas en parler. C’était un secret entre eux deux et le cousin. Il ne fallait pas susciter l’envie et la curiosité. C’était aussi un danger de posséder une fortune.
Elle demanda s’il pourrait tout laisser, ici, pour partir avec elle sur un bateau. Il ne sut que répondre. Tout laisser pour partir avec elle ? Oui, il pouvait. Elle seule comptait pour lui. Mais sur un bateau… Il ne connaissait rien à la mer, en dehors du rivage. C’étaient des choses à apprendre très jeune, et même ainsi, il y avait de grands périls… Et puis elle était encore petiote malgré ses mollets durs, à peine plus haute que les cornes de la chèvre…
On pouvait continuer à grandir sur un bateau, sans doute… Ne le pensait-il pas ? Il pouvait demander au cousin de les emmener ?
Mais pourquoi voulait-elle soudain s’embarquer comme cela ? Était-ce si urgent ?
Oui. Pour la fortune, elle le remerciait. Mais il disait que la liberté était le plus important, elle croyait que peut-être son père avait pensé cela aussi. Elle ne savait pas comment c’était, là-bas, où il était allé. Elle voulait aller pêcher des perles. Pas pour la fortune, puisqu’ils étaient déjà riches et que ce n’était pas important. Mais pour la liberté. Elle voulait pêcher des perles de liberté, dans des mers chaudes, avec des gens différents de ceux du village, et puis aller encore ailleurs, après, et revenir ici, s’ils le voulaient, seulement s’ils le voulaient. Pafou, c’est cela, la liberté ? Partir demain pêcher des perles ? Est-ce que la liberté ça fait grandir ?

A la première bonne marée, on rencontra secrètement le cousin. Il s’engageait à les faire accepter sur un navire sérieux et solide, avec un capitaine courageux qui saurait les conduire à bon port, si la mer était clémente. Il en connaissait un, avec qui il était en relations régulières pour son commerce, qui devait partir pour cette traversée à la prochaine lune. Il était quasi certain que la réponse serait positive. On lui vendit le reste des cueillettes d’après tempêtes, anciennes et récentes.
En attendant la bonne lune, tous deux s’occupèrent de confier les chèvres comme s’ils s’absentaient pour quelques jours. Ensuite il partagea leur trésor en deux, cacha soigneusement, avec elle, une moitié qu’elle pourrait retrouver si elle voulait revenir. Il fit trois parts inégales de la seconde moitié. La plus faible pourvoirait amplement à la traversée, les deux autres, cachées sur eux et dans leur petit bagage, leur assureraient de quoi vivre les premiers temps, là où elle voulait aller.
Trois semaines plus tard, le cousin revint, les prit à son bord pour les conduire au grand navire ancré au large dans l’attente des meilleures conditions de départ.
Deux jours passèrent encore.
Une aube rose envahissait le ciel, où la bonne face blanche de la lune leur souriait, lorsqu’ils levèrent l’ancre et que le navire déployant sa voilure les emporta pêcher les perles de liberté.

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Par delà par dedans femme écorce

Des arbres.
Des arbres avant la guerre, des arbres pendant la guerre, et après encore. Les racines enfoncées loin dans le sol. Arbres nés là, grandis là, demeurés là. Qui n’ont jamais changé de lieu. Le pied d’un arbre ne peut marcher, bouger. C’est ce qu’il y a autour qui bouge et qui change. Des arbres.  Des arbres qui poussent droit. D’autres dont les branches se tordent comme on souffre.  Des arbres qu’on ne songe pas à couper. Pas  des arbres de rapport, des arbres de bois, de forêt, l’écorce attaquée par le froid et les bêtes. Arbres témoins parfois.

Ils sont là. Ils demeurent. Témoins. Témoins aux mille voix, mais immobiles, et que personne n’écoute. Ils croissent lentement. Ils meurent. Mais avant, pendant le long temps, long temps de leur vie, ils voient, entendent. Et lorsqu’ils ne sont plus, lorsqu’ils retournent à la terre, humus nourricier des graines qu’ils ont semées, ils ont déjà caché profond ce qu’ils ont vu et entendu. Les plantules s’en nourriront, cela viendra au jour, un jour, avec les branches et les feuilles, si cela se peut lire ainsi écrit. Et si quelqu’un veut lire.

Dans l’immédiat après guerre, dans cette province des racines de mes géniteurs, devenues mes racines,  je suis née sur une frange de l’ancienne ligne de démarcation entre zone libre et zone occupée, au milieu des hurlements silencieux de tous ces morts qui, avec ou sans sépulture, allaient nourrir la terre qui, elle-même, nourrirait les survivants, hommes et arbres, et les nouveaux arrivants, moi, nous, les autres.

Mes premiers pleurs d’envie de vivre ont déchiré les ténèbres d’un petit matin  d’automne, un début de novembre me faisant basculer, nouveau-né fille et rageur, dans toutes les tourmentes que m’apporteraient, années après années, les retours violents des saisons.

Un estuaire immense, ses vents, ses tourbillons, ses cornes de brume, et parfois ses belles lumières roses, ont fasciné mes yeux d’enfant. Enfant qui revenait toujours pour les vacances vers les bleus crépuscules des collines et des bois qu’avaient vus, peut-être sans les voir, des générations et des générations de ses ancêtres. Et maintenant, après des dizaines d’années ailleurs, c’est un autre fleuve qui m’offre les gris et les ors de ses vignes, les rouges de ses couchants, les débordements de ses crues et les multiples débris qu’il charrie parfois, saisi d’orages et de tempêtes, hérissant ses vagues courtes et hargneuses de branches cassées, troncs d’arbres déracinés, planches aux clous rouillés arrachées aux palissades, bouteilles, bidons d’huile, vieux paniers volés par le flot aux tas d’ordures déposés sur les berges.

L’automne, lorsque je suis née, frémissait à l’approche des grandes marées des équinoxes. L’estuaire enflait. Il m’attendait pour m’entraîner avec tous les autres petits êtres, gouttes d’eau vagissantes, vers le temps et la mer, la vie et ce curieux voyage qui n’est jamais le nôtre, le dernier, que l’on craint et attend. La guerre était finie, les arbres laissaient leur sève redescendre, l’on cherchait des témoins, ou l’on faisait semblant. Les morts ne pouvaient pas parler, les vivants se taisaient, la stupeur étreignait l’air et les décombres, et la vie jaillissait, jetant des flots de nouveau-nés dans les bouleversements des pays dévastés, laissant peser sur eux la charge de combler tous les vides.

Dans quelle hébétude avançaient les parents de tous ces enfants-là, quand basculait vers les larmes le moindre essai de rire, entre les arbres et la ville, blessés au plus profond ? Quelle habitude, quel instinct, leur faisait accomplir les gestes, pour la nourriture encore difficile, pour le lien social perverti de peur, de haine, de sentiments mauvais ? Comment venait le lourd sommeil pour réparer les corps et faire croire à l’oubli ?

Je suis née. Avant moi, un frère. Après moi, d’autres, beaucoup, rameaux après rameaux, et assoiffés de sève. En quelques années nous fûmes dix à bruire pour cacher le silence. Dix à épuiser les adultes, mère et autres, à permettre que la pensée, exsangue, s’enfuie, comme s’enfuyait notre père, chaque semaine, pour gagner notre pain, dix pour permettre que la parole reste en surface, que la paix prenne le visage et la force d’un tourbillon de désordre.

Dix à hurler dans les disputes pour conquérir une illusion de territoire dans la maison ou le coeur des parents. Guerre interne, sans nom, sans frontière, dont les flux et reflux envahissent toutes les familles sans doute, dans l’exubérance d’un irréfrénable polymorphisme.

Mes anniversaires, signaux de hasard qui rythment un passé proche et celui qu’il recouvre,  ne sont que des calmes d’avant la tempête. Je ne prends pas les arbres en otage, ne les entaille pas pour y marquer les ans et les orages. Je ne sais pas comment laisser glisser les choses pour qu’elles ne me cognent pas. C’est ça la vie, sans doute. J’apprends, j’apprends encore,  j’apprends toujours…

Combien d’anniversaires encore avant de me fondre dans ma peau d’avant, dans la rude tiédeur de l’écorce, ma peau d’arbre, combien de mois, d’années que signe ce jour sans importance, ponctuation vaine d’un temps aboli par la mémoire? Étape floue d’une pérégrination anxieuse vers un port qui disparaît toujours, happé par les lointains, entre les gris mêlés de l’horizon?

Je ne suis pas quelqu’un de lisse. Ne l’ai jamais été. J’ai des aspérités partout auxquelles s’accrochent petits et grands bonheurs, petits et grands malheurs. Et le vent me secoue.

Avant, avant ma vie de maintenant, j’ai vu et entendu. Vu et entendu. Et je ne sais plus rien. C’était avant ma naissance, ma naissance d’humaine. Avant qu’un homme et une femme, dans des bâtiments encore debout, mairie, église, selon les coutumes civiles et religieuses auxquelles, peut-être, ils se raccrochaient bien qu’à cérémonies réduites, ne déclarent publiquement qu’ils voulaient être rapprochés, joints, unis, pour vivre ensemble dans ce monde pantelant, jonché de ruines et de morts, hanté de disparus. Vivre mariés, et poser dans ce monde-là, années après années, beaucoup de descendants, petits rectangles posés sur une même horizontale dans la frondaison d’un arbre plein de trous, plein de morts, avec quelques vivants, là pour prendre leur tour, pour que ne cesse pas la course sans butoir.

Avant, avant tout cela, avant d’arriver dans un berceau de bois fruitier poli, à tête de cygne et garniture de piqué blanc, réceptacle de ce nouveau maillon infime dans la marée humaine, avant d’être ce paquet de langes, de laines et de dentelles autour d’une peau délicate de nouveau-né, j’étais là, déjà. Avant. Immobile. Dans une gangue ligneuse. Silencieuse et sauvage. Sombre et rude. Râpeuse. Avant. J’ai vu et entendu. Et la mémoire ne m’en est pas restée.

Si. Restée. Mais j’ai perdu les chemins qui m’ont permis jadis, quand je n’étais pas née ainsi, de ramener à ma conscience diffuse et à venir ce que j’ai vu et entendu. Vu et entendu de tout cela. Autour des arbres et des hommes. Et du sang sur la terre. De la peau, leur peau, écorchée sur les pierres. Des mots, des cris, du bruit. Du silence par dessus les fusils. J’ai entendu, et vu. J’ai perdu les chemins. Ils existent. Ils se dispersent et se rassemblent, se croisent et s’entremêlent, s’emmêlent, se mêlent  à mes os, à mes veines. Ils gardent leurs secrets. Quand je crois les atteindre, ils m’échappent. Je ne sais où ils vont.

Depuis, depuis avant, j’erre. A la recherche de ces secrets qui ne s’acceptent pas dilués ou perdus. A la recherche de cette mémoire qui habite quelque part et nulle part, en moi et pas en moi, que rien n’a su détruire, ni le temps, ni les hommes, ni les bruits qui s’agitent pour étouffer le bruit. Mémoire brouillard qui survit muselée, murée dans les profondeurs ténébreuses des fondations des êtres, des frondaisons des arbres.

Depuis avant. Avant. Lorsque ma peau était une écorce, ridée, rugueuse, brune, tachée de gris, de blanc, de vert éteint, de noir, habitée de débris hébergeant multiples et discrètes flore et faune. Lorsque ma peau était ainsi, avant la succession d’évènements qui l’ont rendue humaine, je vivais solide et paisible. Sédentaire, certes. Le poids de cette peau, de cette écorce, ne m’aurait pas permis de longs déplacements. Mais paisible. Et solide. Maintenant que nul ne fait plus attention à ma peau, ridée, tachée, peau humaine desséchée et fripée, maintenant que cette enveloppe fragile n’entrave plus mes mouvements, je peux librement aller d’un endroit à l’autre, mais je ne le fais pas.

Dans l’enveloppe fragile, dans les espaces inter cellulaires, dans les membranes de ces cellules, dans les récepteurs hormonaux sur ces membranes, et bien plus loin encore, je ne sais où, partout, se perpétue la mémoire de ce que j’ai vu et entendu avant, que je ne sais plus lire, déchiffrer, dans son écriture de maintenant, inapte à révéler des secrets trop diffus mais tenaces, mémoire que je ne sais pas dire. Et qui pourtant ne veut pas disparaître, qui cherche, sans trouver, comment se faire entendre. Je peux librement aller d’un endroit à l’autre et je ne le fais pas, ou si peu…

C’est de l’intérieur que m’en vient maintenant la grandissante impossibilité. De mes entrailles molles, ou d’autres entrailles qui ne sont pas les miennes, se nourrit un crabe sournois, de plus en plus grand, de plus en plus fort, posant ses marques et ses pinces de plus en plus loin, de plus en plus profond. Matin après matin, il vole mon énergie, se nourrit de ma vie.
Je vais mourir. Par et avec le crabe. J’ai dû un jour baisser la garde, être consentante, même un instant, par facilité, lassitude, épuisement. Il l’a senti, a pris l’avantage. Il a gagné. Je vais mourir. Il va mourir. Comme tant d’autres.

Ce sera un soir, peut-être, s’il me laisse un instant de répit où retrouver mes plaisirs crépusculaires d’avant sa colonisation. J’aime le soir, la nuit. J’ai l’illusion d’avoir du temps devant moi, sans que d’autres ne tentent de m’imposer un temps dit social, rythmé par des occupations et des horaires préétablis. Je vais mourir, comme tant d’autres. Moi, ou lui, l’être dont les entrailles ont permis que le crabe fasse taire, par la souffrance, la mémoire à qui apparaissait l’urgence de revenir au jour. Moi, ou lui. Et si c’est lui, ce sera moi aussi, un peu. Moi, ou lui. Comme tant d’autres.

Et l’on m’emportera, avec plus rien de vie, enfermée avec lui, le crabe mort, mort avec moi de m’avoir tuée, de l’avoir tué, lui, mort sans mémoire ou sans conscience d’une mémoire de crabe, on m’emportera dans la grande boîte lisse et vernie, dernière peau, ferme et provisoirement solide, planches assemblées, coupées, collées, vissées à la mesure, lustrées, depuis longtemps orphelines de leur écorce. Et cela n’aura plus d’importance. Que ce soit ainsi ou autrement.

Mais maintenant je peux vouloir encore. Je peux rêver encore. Je peux donner une importance à ce qui n’en aura plus bientôt. Je peux croire à cette importance. Et si, pour mon dernier voyage, celui que je ne ferai pas, que je ne verrai pas les autres me faire faire, si je voulais, si je demandais un cercueil brut? Pour retrouver ma peau d’avant, d’avant ma naissance d’humaine? Ma peau d’avant, rugueuse et sombre? Celle qui, avec moi mélangée, voyait et entendait?  A vu et entendu?

Pour cet étrange voyage, pas le mien, celui que les autres appelleront conventionnellement mon dernier voyage, mais que je ne ferai jamais, car déjà redevenue immobile, immobile et absente, pas moi, ou moi déjà ailleurs, dans un ailleurs sans lieux ni temps comme en dévorent les voyages, pour cet étrange voyage, je veux disparaître aux regards dans le cylindre creux d’un arbre volé aux chouettes, campagnols, cloportes, lichens. Enveloppe ligneuse, silencieuse et sauvage, râpeuse, à déposer dans un trou dans la terre ou à offrir aux flammes. Écorce rude emplie de la mémoire perdue qui enfle et se rétracte, flotte, s’étend, s’effiloche, insaisissable, prête à renaître, sans nom et sans matière, dans le moindre souffle de vent, dans les bulles éclatées aux flaques herbeuses des marais, dans les poussières fossiles des cavernes et les terreaux inquiétants des caves.

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Venez voir de temps en temps, il y a peut-être du nouveau ?

Un lien toujours valable, vers La Cheminante chez qui est édité mon roman Fait noir :

 

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